L’Afrique partagée (1885)
L’IMMIGRATION AFRICAINE EN FRANCE : MUTATION DU VOCABULAIRE ET DU REGARD (1)
Au pays de « nos ancêtres les Gaulois »
Avant la « marée noire »
Pourquoi sont-ils venus en France hier ?
Il ne s’agit pas ici de faire un historique des relations de la France avec le continent africain depuis le 17e siècle, ni de présenter un aperçu de l’histoire de la colonisation française en Afrique (pourquoi l’Afrique ?).
Il ne sera même pas fait mention ici, de l’apport de l’Afrique à la France pendant les heures sombres de son existence : 1ère et 2e Guerres mondiales, grande dépression économique des années 1930 (1930-1939).
On ignorera notamment les 818 000 hommes recrutés sur le continent africain, de 1914 à 1918 (449 000 militaires, et 187 000 travailleurs nord-africains pour moitié).
N’apparaitront pas non plus ici, l’épisode essentiel du ralliement de l’AEF et de l’AOF à la France Libre, et les milliers de combattants africains qui se sont illustrés dans le maquis à partir de 1940 pour le général de Gaulle et pour la France.
L’apport des combattants indigènes d’Afrique pendant, et après la guerre, fut reconnu et salué. Ainsi pour le général Mangin, promoteur de la « Force Noire », « Le sang versé sur les champs de bataille a créé, entre les soldats de la métropole et ceux des colonies, une fraternité couronnée de succès ».
René Viviani, Président du Conseil, approuve en déclarant :« Nous sommes frères dans la même douleur, nous sommes frères dans le même combat, nous communions ensemble dans la certitude de la victoire, nous défendons le sol, la civilisation, la justice… »
Quand au Petit Journal, parlant des soldats africains, il écrit : « Ils ont conquis de leur sang le titre de citoyen français ».
Le contexte actuel, propice au doute et au scepticisme généralisés, même s’il s’agit de faits d’histoire incontestables, amènera sans doute d’aucuns à se demander si la colonisation française a bien existé.
Le chercheur de terres à coloniser
Une suprématie technique et une logique d’expansion
La colonisation, partie intégrante de l’histoire de France, comme de l’histoire mondiale
« Sans doute, nul ne pourra de façon objective et définitive, tirer un bilan de la colonisation française de l'Afrique. Quelques thèmes et quelques aspects précis ne peuvent que mener, par leur analyse, à un débat sans limites. Certes, la colonisation française a réveillé des peuples intellectuellement assoupis en leur permettant de coexister dans la paix assurée par une administration moderne et leur ouvrant la voie vers la modernisation. Incontestablement, une "paix française" exista bel et bien en Afrique du temps de la colonisation, mettant un terme à une anarchie suicidaire. C'est beaucoup.
Cette colonisation fut un apport considérable pour une bonne partie de la planète en décloisonnant des peuples, leur permettant de communiquer au moyen d'une langue aux vertus universelles et universalistes. Elle mit en valeur des ressources naturelles qui, sans elle, resteraient enfouies et inutilisées pour le bien de l'humanité. Mais, elle a aussi beaucoup cassé, d'abord humainement et de ce fait, semé les germes d'une défiance multiséculaire. En mesurant chichement son action en faveur de la formation à la science et à l'esprit moderne, en ne voyant dans l'école coloniale qu'un simple instrument à produire des subalternes, ces outils animés, en évitant par ailleurs de promouvoir les cultures autochtones, elle laissa les populations africaines entre deux eaux, entre déculturation et acculturation. Le présent de ces peuples s'en ressent encore, de même que les rapports entre Français et Africains. Dans ses colonies, la République se soucia peu de ses valeurs et de sa devise.
La pire erreur de la France partout dans ses colonies, en Indochine comme en Algérie ou en Afrique subsaharienne, ce fut de mépriser les élites "francisées" c'est-à-dire profondément et sincèrement attachées à la France, à sa culture et à ses valeurs auxquelles elles ont cru jusqu'au bout. En refusant le dialogue, en humiliant perpétuellement ceux qui ne demandaient qu'à se fondre en elle, la France (les Français) a péché par complexe de supériorité et de suffisance qui n'est en fait que la marque d'un déficit d'intelligence politique. Une telle cécité se paie toujours très cher. Comment la justifier du reste au regard des principes de la République, quand on pense surtout que le summum de cette politique de cécité et de réaction fut atteint sous la IVe République au lendemain du Second Conflit mondial, de la mise en place des Nations unies ainsi que de la Déclaration universelle des droits de l'Homme ? Le constat est évident : la France se montra en deça d'elle-même (dans la mesure où la réalité fut en dessous des promesses, et les actes en opposition avec les principes proclamés). "Il y a deux façons de diffuser de la lumière : être la bougie, ou le miroir qui la reflète." De quelle manière la République a-t-elle diffusé sa lumière en Afrique ?
Hier, l'Empire colonial français permit d'assurer le rang de la France dans le monde, il fut la preuve et le moyen par lequel la France peut prétendre à rester une grande puissance selon le général de Gaulle ; de même aujourd'hui, le soutien et les voix des Etats africains accordés à leur ancienne métropole dans les instances internationales lui permettent de conserver sa place sur les premières marches de l'échelle des nations du monde( même si, aujourd’hui, la suprématie française sur le continent est fortement remise en question, par les Chinois, entre autres). Mais, était-ce là le but initial ? Quel fut le but premier de la France en s'engageant dans l'aventure africaine au XIXe siècle ?
Un juriste français définit la colonisation avant 1912 comme suit :
Coloniser, c'est se mettre en rapport avec des pays neufs, pour profiter des ressources de toute nature de ces pays, les mettre en valeur dans l'intérêt national et en même temps apporter aux peuples primitifs qui en sont privés, les avantages de la culture intellectuelle, sociale, scientifique, morale, artistique, littéraire, commerciale et matérielle, apanage des races supérieures. La colonisation est donc un établissement fondé en pays neuf par une race avancée, pour réaliser le double but que nous venons d'indiquer. »
L’apport de l’Afrique française ?
« Cependant, au fil des ans, le premier de ces objectifs semble l'avoir emporté sur le second, si l'on en juge par cette autre définition donnée de la colonisation par Rondet-Saint, directeur de la ligue maritime et coloniale, dans un article paru dans la "Dépêche Coloniale" du 29 novembre 1929 : Il ne faut pas se lasser de le répéter : la colonisation n 'est ni une intervention philosophique, ni un geste fondamental. Que ce soit pour nous ou pour n'importe quel autre pays, elle est une affaire. Qui plus est, une affaire comportant invariablement à sa base des sacrifices de temps, d'argent, d'existence, lesquels trouvent leur justification dans la rémunération.
La réalité est sans doute que la définition de la colonisation fut variable en France, des intellectuels aux marchands, des militaires aux politiques, au gré des tempéraments, des circonstances de la vie nationale ou internationale, des intérêts privés ou collectifs. On passe ainsi de l'assimilation culturelle à l'exploitation pure des ressources matérielles, de l'association à la domination, du paternalisme au mépris érigé en système de gouvernement. Ernest Renan n'avait-il pas déjà, dès 1871, tracé la voie et d'avance scellé les destins ? Telle la "genèse divine" des trois ordres de l'Ancien Régime : noblesse, clergé, tiers état (ceux qui combattent, ceux qui prient, ceux qui travaillent), il proclame : La nature a fait une race d'ouvriers. C 'est la race chinoise, d'une dextérité merveilleuse, sans presque aucun sentiment d'honneur ; gouvernez-la avec justice en prélevant d'elle par le bienfait d'un tel gouvernement un ample domaine au profit de la race conquérante, elle sera satisfaite. Une race de travailleurs de la terre : c’est le nègre : soyez pour lui bon et humain et tout sera dans l'ordre. Une race de maîtres et de soldats, c’est la race européenne. Que chacun fasse ce pourquoi il est fait et tout ira bien.
Ainsi, le système de la hiérarchisation sociale des trois ordres, contesté en France et aboli par la Révolution de 1789 se trouvait transposé dans les colonies françaises, fondé non sur la naissance ou le mérite mais sur la "race." Enfin, Albert Bayet, dans son discours au Congrès de la ligue des Droits de l'Homme en 1931 proclame : Le pays qui a proclamé les Droits de l'Homme a, de par son passé, la mission de répandre où il le peut, les idées qui ont fait sa propre grandeur. Oui, mais dans les colonies aussi ? En Algérie, en Indochine, en Afrique ? »
(Voir Tidiane Diakité, France que fais-tu de ta République ?, L’Harmattan, Paris, 2004)