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3 février 2019 7 03 /02 /février /2019 08:53

L’Afrique partagée (1885)

L’IMMIGRATION AFRICAINE EN FRANCE : MUTATION DU VOCABULAIRE ET DU REGARD (1)

Au pays de « nos ancêtres les Gaulois »
Avant la « marée noire »

Pourquoi sont-ils venus en France hier ?

Il ne s’agit pas ici de faire un historique des relations de la France avec le continent  africain depuis le 17e siècle, ni de présenter un aperçu de l’histoire de la colonisation française en Afrique (pourquoi l’Afrique ?).
Il ne sera même pas fait mention ici, de l’apport de l’Afrique à la France pendant les heures sombres de son existence : 1ère et 2e Guerres mondiales, grande dépression économique des années 1930 (1930-1939).
On ignorera notamment les 818 000 hommes recrutés sur le continent africain, de 1914 à 1918 (449 000 militaires, et 187 000 travailleurs nord-africains pour moitié).
N’apparaitront pas non plus ici, l’épisode essentiel du ralliement de l’AEF et de l’AOF à la France Libre, et les milliers de combattants africains qui se sont illustrés dans le maquis à partir de 1940 pour le général de Gaulle et pour la France.
L’apport des combattants indigènes d’Afrique pendant, et après la guerre, fut reconnu et salué. Ainsi  pour le général Mangin, promoteur de la « Force Noire », « Le sang versé sur les champs de bataille a créé, entre les soldats de la métropole et ceux des colonies, une fraternité couronnée de succès ».
René Viviani, Président du Conseil, approuve en déclarant :« Nous sommes frères dans la même douleur, nous sommes frères dans le même combat, nous communions ensemble dans la certitude de la victoire, nous défendons le sol, la civilisation, la justice… »
Quand au Petit Journal, parlant des soldats africains, il écrit : « Ils ont conquis de leur sang le titre de citoyen français ».

Le contexte actuel, propice au doute et au scepticisme généralisés, même s’il s’agit de faits d’histoire incontestables, amènera sans doute d’aucuns à se demander si la colonisation française a bien existé.

Le chercheur de terres à coloniser
Une suprématie technique et une logique d’expansion

La colonisation, partie intégrante de l’histoire de France, comme de l’histoire mondiale

« Sans doute, nul ne pourra de façon objective et définitive, tirer un bilan de la colonisation française de l'Afrique. Quelques thèmes et quelques aspects précis ne peuvent que mener, par leur analyse, à un débat sans limites. Certes, la colonisation française a réveillé des peuples intellectuellement assoupis en leur permettant de coexister dans la paix assurée par une administration moderne et leur ouvrant la voie vers la modernisation. Incontestablement, une "paix française" exista bel et bien en Afrique du temps de la colonisation, mettant un terme à une anarchie suicidaire. C'est beaucoup.

Cette colonisation fut un apport considérable pour une bonne partie de la planète en décloisonnant des peuples, leur permettant de communiquer au moyen d'une langue aux vertus universelles et universalistes. Elle mit en valeur des ressources naturelles qui, sans elle, resteraient enfouies et inutilisées pour le bien de l'humanité. Mais, elle a aussi beaucoup cassé, d'abord humainement et de ce fait, semé les germes d'une défiance multiséculaire. En mesurant chichement son action en faveur de la formation à la science et à l'esprit moderne, en ne voyant dans l'école coloniale qu'un simple instrument à produire des subalternes, ces outils animés, en évitant par ailleurs de promouvoir les cultures autochtones, elle laissa les populations africaines entre deux eaux, entre déculturation et acculturation. Le présent de ces peuples s'en ressent encore, de même que les rapports entre Français et Africains. Dans ses colonies, la République se soucia peu de ses valeurs et de sa devise.

La pire erreur de la France partout dans ses colonies, en Indochine comme en Algérie ou en Afrique subsaharienne, ce fut de mépriser les élites "francisées" c'est-à-dire profondément et sincèrement attachées à la France, à sa culture et à ses valeurs auxquelles elles ont cru jusqu'au bout. En refusant le dialogue, en humiliant perpétuellement ceux qui ne demandaient qu'à se fondre en elle, la France (les Français) a péché par complexe de supériorité et de suffisance qui n'est en fait que la marque d'un déficit d'intelligence politique. Une telle cécité se paie toujours très cher. Comment la justifier du reste au regard des principes de la République, quand on pense surtout que le summum de cette politique de cécité et de réaction fut atteint sous la IVe République au lendemain du Second Conflit mondial, de la mise en place des Nations unies ainsi que de la Déclaration universelle des droits de l'Homme ? Le constat est évident : la France se montra en deça d'elle-même (dans la mesure où la réalité fut en dessous des promesses, et les actes en opposition avec les principes proclamés). "Il y a deux façons de diffuser de la lumière : être la bougie, ou le miroir qui la reflète." De quelle manière la République a-t-elle diffusé sa lumière en Afrique ?

 

Hier, l'Empire colonial français permit d'assurer le rang de la France dans le monde, il fut la preuve et le moyen par lequel la France peut prétendre à rester une grande puissance selon le général de Gaulle ; de même aujourd'hui, le soutien et les voix des Etats africains accordés à leur ancienne métropole dans les instances internationales lui permettent de conserver sa place sur les premières marches de l'échelle des nations du monde( même si, aujourd’hui, la suprématie française sur le continent est fortement remise en question, par les Chinois, entre autres). Mais, était-ce là le but initial ? Quel fut le but premier de la France en s'engageant dans l'aventure africaine au XIXe siècle ?
Un juriste français définit la colonisation avant 1912 comme suit :

Coloniser, c'est se mettre en rapport avec des pays neufs, pour profiter des ressources de toute nature de ces pays, les mettre en valeur dans l'intérêt national et en même temps apporter aux peuples primitifs qui en sont privés, les avantages de la culture intellectuelle, sociale, scientifique, morale, artistique, littéraire, commerciale et matérielle, apanage des races supérieures. La colonisation est donc un établissement fondé en pays neuf par une race avancée, pour réaliser le double but que nous venons d'indiquer. »

L’apport de l’Afrique française ?

« Cependant, au fil des ans, le premier de ces objectifs semble l'avoir emporté sur le second, si l'on en juge par cette autre définition donnée de la colonisation par Rondet-Saint, directeur de la ligue maritime et coloniale, dans un article paru dans la "Dépêche Coloniale" du 29 novembre 1929 : Il ne faut pas se lasser de le répéter : la colonisation n 'est ni une intervention philosophique, ni un geste fondamental. Que ce soit pour nous ou pour n'importe quel autre pays, elle est une affaire. Qui plus est, une affaire comportant invariablement à sa base des sacrifices de temps, d'argent, d'existence, lesquels trouvent leur justification dans la rémunération.

La réalité est sans doute que la définition de la colonisation fut variable en France, des intellectuels aux marchands, des militaires aux politiques, au gré des tempéraments, des circonstances de la vie nationale ou internationale, des intérêts privés ou collectifs. On passe ainsi de l'assimilation culturelle à l'exploitation pure des ressources matérielles, de l'association à la domination, du paternalisme au mépris érigé en système de gouvernement. Ernest Renan n'avait-il pas déjà, dès 1871, tracé la voie et d'avance scellé les destins ? Telle la "genèse divine" des trois ordres de l'Ancien Régime : noblesse, clergé, tiers état (ceux qui combattent, ceux qui prient, ceux qui travaillent), il proclame : La nature a fait une race d'ouvriers. C 'est la race chinoise, d'une dextérité merveilleuse, sans presque aucun sentiment d'honneur ; gouvernez-la avec justice en prélevant d'elle par le bienfait d'un tel gouvernement un ample domaine au profit de la race conquérante, elle sera satisfaite. Une race de travailleurs de la terre : c’est le nègre : soyez pour lui bon et humain et tout sera dans l'ordre. Une race de maîtres et de soldats, c’est la race européenne. Que chacun fasse ce pourquoi il est fait et tout ira bien.

Ainsi, le système de la hiérarchisation sociale des trois ordres, contesté en France et aboli par la Révolution de 1789 se trouvait transposé dans les colonies françaises, fondé non sur la naissance ou le mérite mais sur la "race." Enfin, Albert Bayet, dans son discours au Congrès de la ligue des Droits de l'Homme en 1931 proclame : Le pays qui a proclamé les Droits de l'Homme a, de par son passé, la mission de répandre où il le peut, les idées qui ont fait sa propre grandeur. Oui, mais dans les colonies aussi ? En Algérie, en Indochine, en Afrique ? »
                                                                    (Voir Tidiane Diakité, France que fais-tu de ta République ?, L’Harmattan, Paris, 2004)

 

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27 janvier 2019 7 27 /01 /janvier /2019 08:35

Édith SCHUSS,  Ourson

(Lien pour Édith SCHUSS : https://www.etsy.com/fr/shop/LouiseArtKdo)

L’ARTISTE A-T-IL UNE PLACE SPÉCIFIQUE DANS LA SOCIÉTÉ ?

Le point de vue d’Albert Camus

Albert Camus (1913-1960)

Albert Camus, homme de lettres français, écrivain, philosophe, romancier, essayiste, dramaturge, journaliste, est né en Algérie en 1913 et mort accidentellement en France en 1960.
Né d’un père ouvrier agricole, il poursuit des études de philosophie, malgré une situation familiale précaire, puis est contraint de renoncer aux études supérieures pour raison de santé.
Il est l’auteur d’une production littéraire grandiose comme philosophe, romancier, essayiste, dramaturge, journaliste…
Écrivain engagé, Albert Camus fut l’homme de tous les combats pour la liberté, la justice, les droits humains…
Pendant la Seconde Guerre mondiale, il joue un rôle actif dans la Résistance, notamment dans le groupe de résistance « Combat ».
Après la guerre, en 1945, il devient le rédacteur en chef du journal « Combat », mais à partir de 1947, il abandonne le journalisme pour se consacrer uniquement à la littérature. (Prix Nobel de Littérature en 1957).

L’Artiste vit de liberté et du regard des autres.
     Il vit et fait vivre

L’ARTISTE ET SON TEMPS

« Un sage oriental demandait toujours, dans ses prières, que la divinité voulût bien lui épargner de vivre une époque intéressante. Comme nous ne sommes pas sages, la divinité ne nous a pas épargnés et nous vivons une époque intéressante. En tout cas, elle n'admet pas que nous puissions nous désintéresser d'elle. Les écrivains d'aujourd'hui savent cela. S'ils parlent, les voilà critiqués et attaqués. Si, devenus modestes, ils se taisent, on ne leur parlera plus que de leur silence, pour le leur reprocher bruyamment.
Au milieu de ce vacarme, l'écrivain ne peut plus espérer se tenir à l'écart pour poursuivre les réflexions et les images qui lui sont chères. Jusqu'à présent, et tant bien que mal, l'abstention a toujours été possible dans l'histoire. Celui qui n'approuvait pas, il pouvait souvent se taire ou parler d'autre chose. Aujourd'hui tout est changé, le silence même prend un sens redoutable. A partir du moment où l'abstention elle-même est considérée comme un choix, puni ou loué comme tel, l'artiste, qu'il le veuille ou non, est embarqué. Embarqué me paraît ici plus juste qu'engagé. Il ne s'agit pas en effet pour l'artiste d'un engagement volontaire, mais plutôt d'un service militaire obligatoire. Tout artiste aujourd'hui est embarqué dans la galère de son temps. Il doit s'y résigner, même s'il juge que cette galère sent le hareng, que les gardes-chiourme y sont vraiment trop nombreux et que, de surcroît, le cap est mal pris. Nous sommes en pleine mer. L'artiste, comme les autres, doit ramer à son tour, sans mourir s'il le peut, c'est-à-dire en continuant de vivre et de créer. »

Créer, c’est vivre et faire vivre

« A vrai dire, ce n'est pas facile et je comprends que les artistes regrettent leur ancien confort. Le changement est un peu brutal. Certes, il y a toujours eu dans le cirque de l'histoire le martyr et le lion. Le premier se soutenait de consolations éternelles, le second de nourriture historique bien saignante. Mais l'artiste jusqu’ici était sur les gradins. Il chantait pour rien, pour lui-même, ou, dans le meilleur des cas, pour encourager le martyr et distraire un peu le lion de son appétit. Maintenant, au contraire, l'artiste se trouve dans le cirque. Sa voix forcément n'est plus la même ; elle est beaucoup moins assurée.
On voit bien tout ce que l'art peut perdre à cette constante obligation. L'aisance d'abord, et cette divine liberté qui respire dans l'œuvre de Mozart. On comprend mieux l'air hagard et buté de nos œuvres d'art, leur front soucieux et leurs débâcles soudaines. On s'explique que nous ayons ainsi plus de journalistes que d'écrivains, plus de boy-scouts de la peinture que de Cézanne, et qu'enfin la bibliothèque rose ou le roman noir aient pris la place de La Guerre et la Paix ou de La Chartreuse de Parme... Créer aujourd'hui, c'est créer dangereusement. Toute publication est un acte et cet acte expose aux passions d'un siècle qui ne pardonne rien. La question n'est donc pas de savoir si cela est ou n'est pas dommageable à l'art. La question, pour tous ceux qui ne peuvent vivre sans l'art et ce qu'il signifie, est seulement de savoir comment, parmi les polices de tant d'idéologies (que d'églises, quelle solitude !), l'étrange liberté de la création reste possible.
Il ne suffit pas de dire
à cet égard que l'art est menacé par les puissances d'État. Dans ce cas, en effet, le problème serait simple : l'artiste se bat ou capitule. Le problème est plus complexe, plus mortel aussi, dès l'instant que l'on s'aperçoit que le combat se livre au-dedans de l'artiste lui-même. La haine de l'art, dont notre société offre de si beaux exemples, n'a tant d'efficacité aujourd'hui que parce qu'elle est entretenue par les artistes eux-mêmes. Le doute des artistes qui nous ont précédés touchait à leur propre talent. Celui des artistes d'aujourd'hui touche à la nécessité de leur art, donc à leur existence même. Racine en 1957 s'excuserait d'écrire Bérénice au lieu de combattre pour la défense de l'Édit de Nantes. »

L’artiste, héros créateur de liberté, de rencontre des cœurs et des esprits

« Cette mise en question de l'art par l'artiste a beaucoup de raisons, dont il ne faut retenir que les plus hautes. Elle s'explique, dans le meilleur des cas, par l'impression que peut avoir l'artiste contemporain de mentir ou de parler pour rien, s'il ne tient compte des misères de l'histoire. Ce qui caractérise notre temps, en effet, c'est l'irruption des masses et de leur condition misérable devant la sensibilité contemporaine. On sait qu'elles existent, alors qu'on avait tendance à l'oublier. Et si on le sait, ce n'est pas que les élites, artistiques ou autres, soient devenues meilleures, non, rassurons-nous, c'est que les masses sont devenues plus fortes et empêchent qu'on les oublie.

Il y a d'autres raisons encore, et quelques-unes moins nobles, à cette démission de l'artiste. Mais, quelles que soient ces raisons, elles concourent au même but : décourager la création libre en s'attaquant à son principe essentiel, qui est la foi du créateur en lui-même. "L'obéissance d'un homme à son propre génie, a dit magnifiquement Emerson, c'est la foi par excellence". Et un autre écrivain américain du XIXe siècle ajoutait : "tant qu'un homme reste fidèle à lui-même, tout abonde dans son sens, gouvernement, société, le soleil même, la lune et les étoiles". Ce prodigieux optimisme semble mort aujourd'hui. L'artiste, dans la plupart des cas, a honte de lui-même et de ses privilèges, s'il en a. Il doit répondre avant toutes choses à la question qu'il se pose : l'art est-il un luxe mensonger ?...
Nous autres, écrivains du xxe siècle, ne serons plus jamais seuls. Nous devons savoir au contraire que nous ne pouvons nous évader de la misère commune, et que notre seule justification, s'il en est une, est de parler, dans la mesure de nos moyens, pour ceux qui ne peuvent le faire. Mais nous devons le faire pour tous ceux, en effet, qui souffrent en ce moment, quelles que soient les grandeurs passées ou futures des États ou des partis qui les oppriment : il n'y a pas, pour l'artiste, de bourreaux privilégiés. C'est pourquoi la beauté, même aujourd'hui, surtout aujourd'hui, ne peut servir aucun parti ; elle ne sert,
à longue ou à brève échéance, que la douleur ou la liberté des hommes. »

L’artiste au service de la fraternité et du progrès humain

« Le seul artiste engagé est celui qui, sans rien refuser du combat, refuse du moins de rejoindre les armées régulières, je veux dire le franc-tireur. La leçon qu'il trouve alors dans la beauté, si elle est honnêtement tirée, n'est pas une leçon d'égoïsme, mais de dure fraternité. Ainsi conçue, la beauté n'a jamais asservi aucun homme. Et depuis des millénaires, tous les jours, à toutes les secondes, elle a soulagé au contraire la servitude de millions d'hommes et, parfois, libéré pour toujours quelques-uns. Pour finir, peut-être touchons-nous ici la grandeur de l'art, dans cette perpétuelle tension entre la beauté et la douleur, l'amour des hommes et la folie de la création, la solitude insupportable et la foule harassante, le refus et le consentement. Il chemine entre deux abîmes, qui sont la frivolité et la propagande. Sur cette ligne de crête où avance le grand artiste, chaque pas est une aventure, un risque extrême. Dans ce risque pourtant, et dans lui seul, se trouve la liberté de l'art. Liberté difficile et qui ressemble plutôt à une discipline ascétique, quel artiste le nierait ? Quel artiste oserait se dire à la hauteur de cette tâche incessante? Cette liberté suppose une santé du cœur et du corps, un style qui soit comme la force de l'âme et un affrontement patient. Elle est, comme toute liberté, un risque perpétuel, une aventure exténuante, et voilà pourquoi on fuit aujourd'hui ce risque comme on fuit l'exigeante liberté pour se ruer à toutes sortes de servitude et obtenir au moins le confort de l'âme. Mais, si l'art n'est pas une aventure, qu'est-il donc et où est sa justification ? »
                                                                                                                                  Albert Camus, Discours de Suède, 1957, Extraits.

Paul SCHUSS, Méditation au couchant

 

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20 janvier 2019 7 20 /01 /janvier /2019 08:33

Édith SCHUSS, Le Serpent qui danse

LES PRINCIPALES ÉTAPES DE L’ÉVOLUTION DE L’ART  VUES PAR ÉLIE FAURE

L’art à travers les siècles
Du local à l’Universel

Du traditionnel au Moderne

Élie Faure (1873-1937)

Élie Faure, médecin, historien de l’art et essayiste français. Son monumental « Histoire de l’art », écrit entre 1905 et 1909, est à  la fois un livre sur l’histoire de l’art, mais aussi sur ses réflexions philosophiques et sociologiques inspirées de l’art.
L’art n’y est pas seulement apprécié pour sa beauté, mais aussi comme témoin d’un moment de la civilisation, bref, l’art comme moyen d’expliquer le mouvement et l’évolution des peuples et du monde.

L’art à l’épreuve de l’Universel
 

L’ART MODERNE ENTRE LE PARTICULIER ET L’UNIVERSEL

« Il est certain que la rapidité prodigieusement accrue et l'enchevêtrement croissant des communications entre les peuples ont déjà presque détruit les expressions originales de la plupart d'entre eux. Des confrontations trop brusques, trop répétées, trop désordonnées conduisent, par la concurrence commerciale et la surenchère esthétique, à une rupture tragique d'équilibre qui, loin d'unifier l'art universel, lui a fait perdre de vue ses sources et ses raisons d'être.

La renonciation au vêtement local, qui était la marque la plus humble mais la plus fidèle de la diversité des origines et de l'unité des intentions (le vêtement restant, avec l'abri, le signe principal de l'entente avec le milieu), a constitué peut-être, en déguisant tous les hommes à leurs propres yeux, l'indice le plus désolant de leur désarroi.

On sait d'autre part à quelle faillite a abouti de nos jours la dernière grande école de peinture, celle du XIXe siècle français, et le rôle joué dans la catastrophe par l'immigration à Paris des artistes du monde entier. Il n'est pas niable, certes, que ce rendez-vous n'ait porté et ne doive encore porter des fruits précieux, la constitution progressive d'une élite dont le premier acte positif sera sans doute de renoncer aux formes anciennes de l'expression plastique pour rechercher des moyens communs à tous les hommes en faisant appel à leurs besoins communs. »

Choc régénérateur ou régression, voire disparition irréversible ?

« Mais le premier résultat de ce refus a consacré la ruine de toutes les écoles locales et notamment de celle dont il s'inspirait. Que cette école, par Matisse, par Maillol, par Picasso, par Derain, par Braque, ait introduit dans l'anarchie générale quelques-unes des caractéristiques qui ont fait accepter aux élites les principes directeurs de l'art asiatique, ou africain, ou mélanésien, qu'elle ait aussi réintroduit, par le cubisme, dans les préoccupations de l'artiste, le souci des profils et des plans architecturaux, cela prouve précisément qu'elle a épuisé sa vertu propre et que les étrangers qui viennent y chercher la révélation ne peuvent qu'achever sa ruine en lui empruntant les apparences d'une vision qu'elle a perdue parce qu'elle n'est plus adaptée aux besoins qui l'avaient fait naître. »

La rencontre des contraires : facteur d’évolution et d’enrichissement ?

« L'art populaire à part (poteries, étoffes, chansons, dont quelques îlots survivent çà et là, ou tentent de surnager dans le naufrage), s'il n'y a plus de par le monde que des traces à peine visibles de l'art propre à chaque pays, c'est au rayonnement de Paris au cours du XIXe siècle qu'on le doit en premier lieu. L'histoire n'est pas nouvelle : c'est celle d'Athènes, d'Alexandrie, de Florence, de Bruges, de Venise, de Rome. Mais elle a acquis de nos jours, grâce, il faut le répéter, à l'accroissement vertigineux des communications entre les peuples, un caractère d'universalité qui marque la fin, non seulement de la civilisation occidentale telle que nous la concevions encore il y a moins de cinquante ans, mais des civilisations qui lui demeuraient étrangères. Le "machinisme" a tout détruit, ou tout achevé de détruire.

Mais on peut justement se demander si, du même coup, le machinisme ne nous offre pas le moyen de tout reconstruire. Son action extérieure sur la peinture, la sculpture, la littérature est sans doute destinée à un avortement complet. Ce n'est pas en peignant, en sculptant, ou en évoquant des formes inspirées par celles de la machine qu'on créera une expression neuve et peut-être universelle. Le phénomène d'assimilation de la machine par la sensibilité humaine s'opère en des régions infiniment plus profondes et moins conscientes que celles-là.

L'homme — le Nègre à part, et par malheur ce n'est plus aussi vrai partout et en tout — avait perdu le sens du rythme, origine et condition même de tout œuvre authentique. Il semble que les cadences répétées et multipliées de la machine, la précision absolue de ses fonctions et de ses gestes, leur pénétration progressive dans tous les domaines de notre activité économique, domestique, touristique, sportive, introduisent de plus en plus intimement en nous un automatisme nouveau, qui, de même que les automatismes anciens — danse, écriture, musique, géométrie, langage —, y réveille peu à peu, en les délivrant de leurs chaînes, des facultés d'expression naguère encore liées à des besoins qui ne répondent plus à des nécessités sociales.

La substitution du groupe à l'individu appelle des moyens de s'exprimer nouveaux, dont la résurrection des sports d'ensemble, exactement contemporaine de l'apparition de la machine et croissant en importance en même temps qu'elle, est peut-être, avec l'utilisation de la machine elle-même, le signe le plus impressionnant. En musique, il existe déjà de saisissants essais d'accord entre les cadences et les sonorités révélées par la machine. La danse des girls américaines est une réalisation rythmique parfois d'une grande beauté, même quand des images mécaniques ne les accompagnent pas, comme le montrent certains films.
Le cinéma, précisément, nous révèle avec une richesse inouïe de suggestion et même d'obsession le passage progressivement accéléré des rythmes de la machine dans les rythmes du geste humain. Et c'est par une machine et même par un ensemble de machines — objectif, obturateur, caméra, projecteurs, gramophone — qu'il nous propose la démonstration de l'harmonie mécanique de tous les gestes humains, dont le ralenti nous fait saisir la logique, l'équilibre, la nécessité anatomique, le pourquoi biologique, tout un monde d'harmonies hier encore invisibles pour notre œil et qui entrent avec une abondance accrue dans le subconscient des multitudes, pour le solidariser de nouveau avec les phénomènes de gravitation mathématique que la danse pressentait jadis. »

L’impact du machinisme sur l’art et sur les modes de vie : destruction ou reconstruction ?

« N'est-il pas significatif que le cinéma s'empare de plus en plus rapidement de toutes les formes expressives ? qu'en mettant ses moyens mécaniques au service des sensibilités humaines, il se substitue aux arts plastiques, à la musique, au théâtre même, qu'il annexe alors qu'on se l'imaginait à l'origine une simple annexe du théâtre ? qu'il réalise objectivement — toujours comme la danse, mais mieux que la danse qui disparaît avec le danseur — la fusion absolue de l'espace et de la durée devenue positivement, pour lui, une dimension de l'espace ? qu'il associe dans ses cadences les volumes de la sculpture aux passages de la peinture, le contrepoint visible au contrepoint sonore ?... Le cinéma est, en somme, une musique qui nous atteint par l'intermédiaire de l'œil, le point de jonction décisif de l'art et de la science, la révélation mécanique que les harmonies du monde n'appartiennent pas au domaine hypothétique de l'au-delà, du rêve, du surnaturel, de la mystique, mais au domaine positif de la plus permanente et étroite réalité.

Nous assistons donc très probablement, non pas à une disparition de l'art lui-même par la décomposition des écoles locales et leur confrontation universelle, qui les use et les anémie les unes par les autres, mais à la substitution, à des moyens individuels de manifester l'émotion humaine en présence du monde, de procédés collectifs destinés à recréer cette émotion en réintégrant le sentiment rythmique et mathématique du monde dans l'instinct de la généralité des hommes.

Il ne s'agit pas de savoir si telle ou telle machine est susceptible de se substituer à tel ou tel mode suranné de création, mais si l'ensemble des machines — le machinisme — dont la radiophonie et surtout le cinéma constituent déjà, l'une comme instrument de transmission, l'autre comme instrument d'expression propre, des manifestations esthétiques universelles, peut réintroduire la sensibilité humaine dans ce monde absolument nouveau que la science pure et la science appliquée nous révèlent avec une puissance de moyens et de suggestion non encore égalée, ni même entrevue par les écoles d'autrefois. L'intuition sentimentale de la rythmique universelle ancienne est remplacée sous nos yeux mêmes par la croissance d'un instinct absolument vierge, et plus riche en apports insoupçonnés et en cadences inconnues que ne fut jamais aucun de ceux qui nous formèrent.
En dehors de la machine et du cinéma lui-même, l'apparition de ces rapports et de ces cadences a déjà provoqué la résurrection des harmonies collectives dont l'architecture statique était autrefois l'expression. Une architecture mobile est née. L'embarcation et la voiture en constituaient auparavant des préfigurations timides, puisque leur principe moteur ne venait pas de l'intérieur. Le chemin de fer, l'automobile, l'avion, le transatlantique sont des architectures d'une admirable beauté de formes parce qu'admirablement adaptées aux fonctions qui s'imposent à elles avec la précision intransigeante de la nécessité scientifique et économique. »

 

Le cinéma. À la jonction de l’art et le la machine

« Cette architecture dynamique n'a-t-elle pas déjà transmis la pureté de ses profils à la plus grande partie d'une architecture immobilière exprimant les besoins collectifs dont la machine fut l'instrument principal ? Barrages, ponts, aqueducs, hangars, digues, usines, routes imposent déjà au monde l'impersonnalité d'un art appelé à régénérer la vision de tous les hommes en replongeant dans tous les besoins unanimes que représentait la rythmique et dans les besoins, particuliers à chaque groupe, que réclament ses conditions d'existence sociale. Origine sans doute de variations harmoniques que l'architecture empruntera aux milieux géographiques et aux productions diverses que ces milieux déterminent.
Il faut se garder d'oublier la ductilité des matériaux introduits aujourd'hui dans l'art de bâtir — le fer et le béton entre autres —, tous aptes aussi bien à unifier les principes de la construction qu'à en varier les aspects. Il est aisé de comprendre, par exemple, pourquoi les procédés modernes n'exigent plus, dans les pays pluvieux, l'inclinaison des toits, pourquoi la puissance des éclairages artificiels peut, à la rigueur, modifier l'importance des ouvertures ou même en amener la suppression.

Mais l'harmonisation des lignes et des masses du bâtiment aux caractères de la contrée, peut-être même au génie de l'espèce, n'en demeurent pas moins parmi les impératifs les plus immédiats des formes utilitaires qu'il s'agit de réaliser. Il est déjà bien malaisé d'indiquer devant la plus parfaite de ces formes ce qui la différencie qualitativement d'un temple grec, par exemple. Sans doute que le temple grec n'est que la maturation spirituelle — son origine, la maison de paysan, le prouve — de besoins imposés par l'économie la plus positive, et que nous sommes en droit d'espérer de nos constructions utilitaires, pour un avenir plus ou moins lointain, une destinée analogue à celle-là. Les Égyptiens nous avaient démontré les premiers — et avec force et avec une continuité qui vaut pour toute la durée des âges — l'unité de nos besoins spirituels et des procédés scientifiques qui les manifestent. Sans doute touchons-nous à l'aube d'une époque analogue à la leur, ce qui ne serait pas un médiocre espoir de réveil pour le vieil optimisme de l'être humain. »
                                                                                                                                          Élie Faure, Équivalences, 1951.
 

 

Réflexion

L’art Universel (ou art moderne) est-il  inéluctablement et irréversiblement l’ennemi de l’art local ou traditionnel ?
La cuisine moderne fait-elle définitivement oublier la cuisine locale ou traditionnelle ?

Bref,la cuisine universelle fait-elle perdre à jamais le goût de la cuisine locale?

 

Édith SCHUSS,  Soucoupe volante

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13 janvier 2019 7 13 /01 /janvier /2019 09:32

Paul SCHUSS, Le sonneur de l'angélus

POUR L’ART ET LA CRÉATION ARTISTIQUE,
LES LEÇONS PRATIQUES DE LUC BENOIST

Le regard exercé, source d’inspiration, de création artistique et poétique

Luc Benoist
Historien d’art, écrivain et conservateur de musée français.

Voir et savoir regarder, complément utile du savoir lire

REGARDE

« Nous avons tous appris à lire et à écrire, mais nous n'avons jamais appris à voir, n'estimant pas, à cet égard, qu'une initiation fût nécessaire. Aussi a-t-on constaté que le visiteur ordinaire d'un musée n'arrête pas son regard sur le plus beau tableau du monde pendant plus de cinq secondes. Et nous ne prêtons pas plus d'attention aux monuments célèbres ou aux paysages prestigieux que nous rencontrons en voyage. Nous ne soupçonnons pas que devant ces objets ou ces spectacles notre regard ait une habitude à prendre, un art à exercer, un plaisir à recevoir ; et qu'à partir du moment où nous en comprendrons la nature, la signification et le but, nous commencerons à les rechercher pour eux-mêmes et à les aimer. »

Bien regarder pour l’éveil des sens et de l’esprit

« C'est un accord de sentiment qui nous pousse à parcourir plus volontiers les pages d'un nouveau roman que les salles d'une exposition de peinture abstraite, à écouter sans impatience le dialogue d'une pièce, à suivre avec sympathie les gestes des acteurs sur la scène. Tandis que les tableaux d'un musée, les œuvres d'art qui s'y entassent nous demeurent bien souvent lointains et mystérieux, immobiles et muets. Comme il est naturel, nous ne prenons intérêt qu'aux choses ou aux personnes que nous aimons intimement, par vocation, profession ou passion. Si, devant une jolie femme rencontrée dans la rue, un coiffeur remarque inconsciemment sa chevelure, un couturier sa robe, un médecin sa diathèse, tous sont frappés, et nous avec eux, par la qualité la plus générale, la plus universelle à laquelle l'œil et l'âme soient sensibles : sa beauté. La question qui se pose est de savoir si nous sommes capables de déceler la beauté sous ses formes les plus différentes et les plus hautes, autant que sous sa plus ordinaire apparence.

Nous nous promenons dans un jardin public et, au tournant d'une allée, part devant nous un vol de colombes. C'est un incident sans importance. Mais il a permis à bien des peintres d'évoquer avec vérité les oiseaux consacrés à Vénus. On nous appelle pour goûter une collation servie sur un coin de table. C'est un mince sujet, mais Chardin ou Matisse en auraient tiré un chef-d'œuvre. Nous entrevoyons une autre fois une femme brossant ses cheveux : Degas et Bonnard l'ont vue avant nous et, bien souvent, l'ont peinte. Monet s'est promené le long de cette rivière bordée de peupliers. Van Gogh, Courbet se sont assis avant nous sur cette grève et Utrillo a passé dans cette rue de Montmartre, où nous voyons se découper au loin le dôme du Sacré-Cœur. L'attention infaillible de ces artistes a transformé en spectacle exceptionnel un sujet si banal que nous ne l'avions pas vu, encore moins regardé et pas du tout goûté. Pourtant nous vivons comme eux au milieu de la même nature, du même monde, auquel ils ont tout emprunté, leur répertoire, leur technique, leurs matériaux, leurs couleurs, toutes les formes des choses combinées de mille façons. La matière première de l'art est inépuisable.

Elle se rencontre partout. Mais il faut ouvrir les yeux et savoir regarder.

En effet tous les spectacles offerts par l'art ou la nature ne sont pas toujours faciles à saisir ou à comprendre du premier coup d'œil, et l'artiste, qui ne fait que transcrire les apparences, a pu hésiter comme nous. Aussi nous arrive-t-il parfois de nous demander si nous avons affaire à un objet naturel ou fait de main humaine. On a longtemps refusé d'admettre que les haches de silex, découvertes par Boucher de Perthes, avaient été taillées par des hommes dans le lointain de la préhistoire. Ou bien le jeu des illusions et l'inversion des échelles peuvent nous pousser à confondre sous la même forme des choses étrangères les unes aux autres. Nous prêtons à la courbe d'une colline le galbe d'une hanche humaine, retrouvant sans le vouloir le mythe du dieu égyptien Geb, dont le corps allongé représentait la terre. Ne nous est-il jamais arrivé de rêver à un obélisque devant une cheminée d'usine ? L'œil, comme un poète, crée journellement de nouvelles métaphores. Car, dans le domaine de l'art, comparer constitue un moyen habituel de connaissance. Sans cesse notre regard va d'un objet à l'autre et, cette comparaison nécessaire, nous souhaitons la favoriser et la commenter. Nous espérons susciter l'exercice d'un choix parmi les images d'un monde qui nous offre tous les spectacles adaptés à nos états d'âme, à nos imaginations, à nos rêves. L'œuvre d'art est le meilleur moyen d'apprendre à faire ce choix, puisque l'artiste a déjà choisi pour nous. Il nous apprend à voir comme lui. »

Savoir regarder pour découvrir trésors et délices, sel de l’existence

« Innombrables sont les points de vue auxquels nous pouvons nous placer devant les œuvres de l'art suivant notre goût, notre humeur, notre compétence. L'œuvre est capable, si nous la questionnons bien, de répondre à toutes nos curiosités, de nous révéler ses secrets : le pays où elle est née, l'artiste qui l'a faite, la technique employée, le sujet qu'elle représente, l'amateur qui l'a commandée, les sentiments qu'elle inspire, les modes qu'elle a pu provoquer. Pour être plus précis, disons qu'on peut d'abord retenir d'une œuvre d'art son sujet visible, le spectacle ou l'histoire qu'elle représente. On la traite alors comme une image. A ce titre, elle couvre tout le clavier de la réalité sensible. Elle peut nous révéler un coin de la nature, un moment du travail humain. Ce peut être le cadre de la vie d'autrefois, les épisodes de notre histoire, le visage des hommes représentatifs. Ainsi le "Sacre de Napoléon" par David constitue une grande image.
En second lieu, on peut chercher à retrouver dans un monument, une sculpture, un tableau, les conceptions idéologiques ou religieuses qui l'ont fait naître. On le considère alors comme un symbole. Presque toutes les peintures religieuses sont symboliques. Quand un peintre, Titien par exemple, peint un "Mariage mystique de Sainte-Catherine", où l'on voit l'Enfant Jésus passer un anneau au doigt d'une adolescente, on pense bien qu'il n'a pas représenté un fait historique, mais qu'il a voulu suggérer une idée, celle de la vocation d'une jeune fille qui prend l'habit et entre en religion. C'est figure des dieux ou essai d'évoquer la vie intérieure d'une âme. »

Du regard à l’équilibre de l’œuvre d’art

« On peut enfin s'attacher exclusivement à la technique, à la matière que l'œuvre utilise, au métier qu'elle exige, et on la considère alors comme un objet. A ce point de vue, l'art comporte également tous les degrés, du plus petit au plus grand, depuis l'orfèvrerie d'un bijou jusqu'à l'urbanisme des grandes capitales. Dans le cadre de la peinture, c'est le cas de toute composition non figurative, où seul compte aux yeux de l'artiste le jeu des couleurs et des lignes.
Bien entendu, toute œuvre d'art digne de ce nom devrait répondre à ces trois fonctions essentielles. Mais presque jamais l'équilibre n'est parfait. Pour une âme pieuse le sujet religieux d'une image possédera forcément une vertu qui fera négliger sa virtuosité. Le grand artiste est justement celui qui satisfait également tous les besoins de l'œil, de l'âme et de l'esprit. Il doit trouver le motif qui comble, remplisse, magnifie ou sublime exactement son dessein. A la cime de l'art, les chefs-d'œuvre nous proposent les réussites les plus difficiles, celles où l'émotion est provoquée à la fois par le symbole, l'image et le métier. Elles nous offrent un modèle de ce qu'il y a de plus exaltant au monde comme programme de vie : la coïncidence du travail et du plaisir. Tant il est vrai, selon le mot de Keats, qu'une œuvre parfaite, après avoir été la passion de son créateur, est "une joie pour toujours". ».

                                                                                                            Luc Benoist, Regarde ou Les clefs de l’art, 1962.

 

Paul SCHUSS, Rêves et paix

Lien : pour Paul Schuss
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6 janvier 2019 7 06 /01 /janvier /2019 09:16

ANDRÉ MAUROIS CÉLÈBRE LE LIVRE ET SES VERTUS MULTIPLES

Le livre et la lecture, facteur de formation, de culture et d’épanouissement

André Maurois (1885-1967)

André Maurois, né Émile Salomon Wilhelm Herzog, conteur, essayiste, biographe français (1885-1967). Auteur d’une œuvre monumentale et prolixe, son nom de plume (pseudonyme), André Maurois, devient son nom légal.
(Académie française, 1938)

Lire, c’est grandir, s’accomplir

« Notre civilisation est une somme de connaissances et de souvenirs accumulés par les générations qui nous ont précédés. Nous ne pouvons y participer qu'en prenant contact avec la pensée de ces générations. Le seul moyen de le faire, et de devenir ainsi un homme "cultivé", est la lecture.

Rien ne peut la remplacer. Ni le cours parlé ni l'image projetée n'ont le même pouvoir éducatif. L'image est précieuse pour illustrer un texte écrit : elle ne permet guère la formation des idées générales. Le film, comme le discours, s'écoule et disparaît ; il est difficile, voire impossible, d'y revenir pour le consulter. Le livre demeure, compagnon de toute notre vie. Montaigne disait que trois commerces lui étaient nécessaires : l'amour, l'amitié, la lecture. Ils sont presque de même nature.

On peut aimer les livres ; ils sont toujours des amis fidèles. Je dirai même que je les ai souvent trouvés plus brillants et plus sages que leurs auteurs. Un écrivain met dans ses ouvrages le meilleur de lui-même. Sa conversation, si même elle étincelle, s'enfuit. On peut interroger sans fin le mystère du livre. En outre, cette amitié sera partagée, sans jalousie, par des millions d'êtres, en tous pays. Balzac, Dickens, Tolstoï, Cervantès, Gœthe, Dante, Melville nouent des liens merveilleux entre des hommes que tout semble séparer. Avec un Japonais, avec un Russe, avec un Américain, de moi inconnus, j'ai des amis communs qui sont la Natacha de Guerre et Paix, le Fabrice de La Chartreuse de Parme, le Micawber de David Copperfield. »

Le livre, facteur irremplaçable d’ouverture aux autres et à soi

« Le livre est un moyen de dépassement. Aucun homme n'a assez d'expériences personnelles pour bien comprendre les autres, ni pour bien se comprendre lui-même. Nous nous sentons tous solitaires dans ce monde immense et fermé. Nous en souffrons ; nous sommes choqués par l'injustice des choses et les difficultés de la vie. Les livres nous apprennent que d'autres, plus grands que nous, ont souffert et cherché comme nous. Ils sont des portes ouvertes sur d'autres âmes et d'autres peuples. Grâce à eux nous pouvons nous évader de notre petit univers personnel, si étroit : grâce à eux nous échappons à la méditation stérile sur nous-mêmes. Un soir consacré à la lecture des grands livres est pour l'esprit ce qu'un séjour en montagne est pour le corps. L'homme redescend de ces hautes cimes, plus fort, les poumons et le cerveau lavés de toutes souillures, mieux préparé à affronter avec courage les luttes qu'il retrouvera dans les plaines de la vie quotidienne.

Les livres sont nos seuls moyens de connaître d'autres époques et nos meilleurs moyens pour comprendre des groupes sociaux où nous ne pénétrons pas. Le théâtre de Federico Garcia Lorca m'aura plus appris sur l'âme secrète de l'Espagne que vingt voyages faits en touriste. Tchékhov et Tolstoï m'ont révélé des aspects de l'âme russe qui restent vrais. Les Mémoires de Saint-Simon ont fait revivre pour moi une France qui n'est plus...
Plaisir accru par la découverte d'étonnantes ressemblances entre ces mondes éloignés de nous par la distance ou le temps, et celui où nous vivons. Les êtres humains ont tous des traits communs. Les passions des rois dans Homère ne sont pas si différentes de celles des généraux dans une coalition moderne. Quand je faisais un cours sur Marcel Proust aux étudiants de Kansas City, les fils des fermiers américains se reconnaissaient dans ces personnages français. "Après tout, il n'y a qu'une race : l'humanité". Le grand homme lui-même n'est différent de nous que par ses dimensions, non par son essence, et c'est pourquoi les grandes vies sont intéressantes pour tous les hommes.

Donc, nous lisons, en partie, pour dépasser notre vie et comprendre celle des autres. Mais ce n'est pas la seule raison du plaisir que donnent les livres. Par l'existence quotidienne, nous sommes trop mêlés aux événements pour les bien voir, trop soumis aux émotions pour en jouir. Beaucoup d'entre nous vivent un roman digne de Dickens ou de Balzac ; ils n'y trouvent aucun plaisir. Bien au contraire. La fonction de l'écrivain est de nous offrir une image vraie de la vie, mais de la tenir à une telle distance de nous que nous puissions la goûter sans crainte, sans responsabilité. Le lecteur d'un grand roman, d'une grande biographie, vit une grande aventure sans que sa sérénité en soit troublée. Comme l'a dit Santayana, l'art offre à la contemplation ce que l'homme ne trouve guère dans l'action : l'union de la vie et de la paix. »

Le livre et la lecture, sources de connaissance, de sagesse et de sociabilité

« La lecture d'un livre d'histoire est très saine pour l'esprit ; elle enseigne au lecteur la modération et la tolérance; elle lui montre que de terribles querelles, qui causèrent des guerres civiles ou mondiales, ne sont plus aujourd'hui que des controverses défuntes. Leçon de sagesse et de relativisme. Les beaux livres ne laissent jamais le lecteur tel qu'il était avant de les connaître ; ils le rendent meilleur.

Rien n'est donc plus important pour l'humanité que de mettre à la disposition de tous ces instruments de dépassement, d'évasion et de découverte qui transforment, à la lettre, la vie et accroissent la valeur sociale de l'individu. Le seul moyen de le faire est la bibliothèque publique.

Nous vivons en un temps où tous les hommes, en des pays dont le nombre va croissant, ont des droits égaux, participent au gouvernement et forment cette opinion qui, par son influence sur les gouvernants, décide en dernier ressort de la paix et de la guerre, de la justice et de l'injustice, bref, de la vie de leur nation et de celle du monde tout entier. Cette puissance du peuple, qui est la démocratie, exige que les masses, devenues source du pouvoir, soient instruites de tous les grands problèmes.

J'entends bien qu'elles reçoivent, de plus en plus, un tel enseignement dans les écoles, mais cet enseignement ne peut être complet si la bibliothèque ne devient l'auxiliaire de l'école. Écouter un maître, même excellent, ne suffit pas à former l'esprit. Il y faut la réflexion, la méditation. Le rôle du maître est de fournir des cadres bien construits, que le travail personnel devra ensuite remplir. Ce travail personnel sera, essentiellement, constitué par des lectures.

Aucun élève, aucun étudiant, si brillant soit-il, ne peut refaire seul ce que l'humanité a mis des millénaires à enfanter. Toute réflexion solide est, avant tout, réflexion sur la pensée des grands auteurs. L'histoire serait peu de chose si elle était réduite aux faits et aux idées que le maître peut exposer en un petit nombre d'heures. Elle deviendra une grande leçon de vie si l'étudiant, conseillé par le maître, va chercher dans les Mémoires, dans les témoignages, dans les statistiques la matière même de l'histoire.

La lecture n'est pas seulement une saine gymnastique de l'intelligence ; elle révèle aux jeunes le caractère secret de la vérité, qui n'est jamais donnée toute faite au chercheur, mais doit être construite par lui à force de travail, de méthode et de bonne foi. La bibliothèque est le complément indispensable de l'école ou de l'université. Je dirais volontiers que l'enseignement n'est qu'une clef qui ouvre les portes des bibliothèques.

Cela est plus vrai encore de l'enseignement postscolaire. Le citoyen d'une démocratie qui veut remplir ses devoirs avec conscience doit continuer de s'informer pendant toute sa vie. Le monde ne s'arrête pas le jour où chacun de nous sort de ses classes. L'histoire continue de se faire, elle pose des problèmes qui engagent le sort de l'espèce humaine.

Comment prendre parti, comment défendre des thèses raisonnables, comment s'opposer à de criminelles folies si l'on ne connaît pas les questions ? Ce qui est vrai de l'histoire l'est aussi de l'économie politique, de toutes les sciences, de toutes les techniques. En cinquante ans, les connaissances humaines ont été renouvelées, bouleversées. Qui renseignera, sur ces grands changements, les hommes et les femmes dont la vie et le bonheur en dépendent ? qui leur permettra, en accomplissant leur tâche quotidienne, de tenir compte des plus récentes découvertes ?
Les livres, et eux seuls. »

Le livre et la lecture ouvrent l’accès à la mémoire du monde

« La bibliothèque publique doit donner aux enfants, aux jeunes gens, aux hommes et aux femmes, la possibilité de se tenir au courant de leur temps, sur tous les sujets. En mettant à leur disposition, impartialement, des ouvrages qui présentent des thèses opposées, elle leur permet de se former une opinion et de garder, à l'égard des affaires publiques, l'esprit critique et constructif sans lequel il n'est pas de liberté.

Elle éveille aussi des vocations. En lisant les œuvres des maîtres, des esprits bien doués qui ne trouvaient pas leur voie seront aiguillés vers les sciences, les lettres ou les arts et apporteront à leur tour leur contribution au trésor commun de l'humanité...

La civilisation crée des besoins nouveaux. L'homme n'accepte plus d'être un pion que meuvent sur l'échiquier des puissances qui le dépassent. Dans toute la mesure où cela est possible, il veut savoir, s'informer. Jadis, seul un philosophe ou un poète disait : "Je suis homme et rien de ce qui est humain ne m'est étranger". Aujourd'hui, tout homme voudrait pouvoir prononcer cette phrase, parce qu'il sait que le destin de peuples lointains et inconnus modifiera le sien, et aussi parce que sa sensibilité s'est affinée et qu'une injustice commise à l'autre bout du monde le touche. Sur les problèmes qui sollicitent l'humanité tout entière, la bibliothèque est la principale, la plus riche source d'information.

Enfin, par l'abondance de l'énergie, par les progrès de l'automatisme, notre civilisation, que nous le voulions ou non, sera de plus en plus une civilisation de loisirs. Les sports, les jeux, les spectacles, la télévision contribueront, certes, à occuper les hommes, mais leur durée sera toujours limitée par la longueur des préparations et, d'ailleurs, un homme digne de ce nom en arrive assez vite à se lasser de n'être que spectateur. La bibliothèque fera pour lui, de l'Espace et du Temps, un spectacle infini qu'il créera lui-même.

"Tout homme qui sait lire, a dit Aldous Huxley, a en lui le pouvoir de se magnifier, de multiplier ses modes d'existence, de rendre sa vie pleine, intéressante et significative". C'est cette vie pleine, enrichie de toutes les autres vies, que nous souhaitons ouvrir à tous.»
                                                                                                                    André Maurois, Revue « le Courrier de l’Unesco » (mai 1961).

 

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1 janvier 2019 2 01 /01 /janvier /2019 11:35

AUX LECTRICES ET LECTEURS DU BLOG

À TOUTES ET À TOUS

JE SOUHAITE, DU FOND DU CŒUR,

UNE BONNE ET HEUREUSE

ANNÉE 2019

 

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30 décembre 2018 7 30 /12 /décembre /2018 09:22

AFRIQUE, AUJOURD’HUI ET DEMAIN
BILAN ET PERSPECTIVES

Regards

Jeune Afrique (Revue) :

La médecine du pauvre
« Les hommes politiques nous répètent la même rengaine depuis toujours : pour développer nos pays, il faut investir davantage dans la santé et l'éducation. Or, c'est surtout dans ces deux secteurs que les bilans sont globalement mitigés. L'école est devenue une fabrique d'analphabètes tandis que l'hôpital produit des malades. […]
Selon une stagiaire, les moustiques l'ont envahi, et rien n'est entrepris pour les éliminer. Pourtant, affirme la jeune fille, « il y a des cerveaux dans cet hôpital, mais il n'y a pas d'ordre et l'organisation est nulle ». Le manque d'équipement est criant : pas de thermomètre, pas de balance, pas de tensiomètre. Les « brancards » sont constitués de tôles ondulées posées sur des roulettes. Pour une injection ou un prélèvement, le soignant demande des gants à la famille du malade, sinon rien n'est fait. Un laborantin avait donné des résultats erronés concernant un enfant. Les infirmiers ont utilisé ces données, l'enfant est mort le lendemain. Bien entendu, les parents n'ont pas été informés de la bévue. Après l'annonce du décès de leur progéniture, ils se sont contentés de pleurer toutes les larmes de leurs corps. Aucune autopsie n'a été pratiquée, encore moins une enquête interne pour des sanctions. Comme disent les Kinois, «  akufi ofele » (« il est mort gratis »). À l'hôpital général de référence, on ne donne rien, pas même un bout de sparadrap. Le suivi des malades hospitalisés est quasiment aléatoire. Si vous voulez vous remplir la panse tous les jours, ce n'est pas là qu'il faut aller : l'hôpital ne donne aucun repas. Vous avez néanmoins la possibilité de préparer vos propres repas. Si votre famille vous apporte de quoi vous sustenter, elle doit penser à la part des soignants. C'est du joli, mesdames et messieurs !

Mais ce n'est pas tout ! Les stagiaires dorment à même le sol. Et comme il n'y a pas d'équipements sanitaires stricto sensu, elles se lèvent à 4 heures du matin, quand elles ont fait la garde, pour se laver dans l'un des couloirs. Toute la nuit, elles ont prié pour que leur ventre n'ait pas la mauvaise idée de se débarrasser de son contenu. […] » (Jeune Afrique n°2982)

Courrier des lecteurs

Putschs
    Trop tôt pour crier victoire

« J'ai lu avec intérêt votre "Grand Angle" sur les coups d'État en Afrique (J.A. n°2887, du 8 au 14 mai). Certes, comme vous le soulignez, ces trois dernières années, toutes les tentatives de putsch ont échoué sur le continent. Mais il est trop tôt pour considérer que ce phénomène est passé de mode. Car tant que les causes qui conduisent souvent à ces coups d'État militaires ne trouveront pas de réponses, des "sauveurs suprêmes en képi et béret" se tiendront toujours en embuscade, prêts à sauter sur la "bonne occasion" pour faire tomber un régime en place. D'autant qu'aller chercher l'alternance démocratique "au fond des urnes" relève encore de la mission impossible dans nombre de pays. Nous l'avons vu récemment au Burundi, au Congo-Brazzaville et au Tchad, où des présidents indétrônables excellent en stratégies pour s'accrocher coûte que coûte au pouvoir. Ne laissant à leurs opposants que la forte tentation de recourir à la rue, voire aux fusils. Pour que la mode des putschs passe, il faudra donc que ceux qui nous dirigent apprennent à laisser la place, à passer.» (Jeune Afrique n°2888)

Asservissement
    Réfléchissons-y

Pourquoi l'Afrique reste-t-elle pauvre, alors qu'elle regorge de richesses ? Les multinationales contribuent-elles à son développement ou l'appauvrissent-elles ? À qui profitent les ressources naturelles des pays africains ? François Mitterrand disait : "Chaque franc investi au Sud rapporte 8 francs au Nord...". Alors l'Afrique n'est-elle pas le principal bailleur de fonds de l'Occident ? Pourquoi les pays dits riches refusent-ils d'acheter les matières premières des pays du Sud, sources de développement concret, à leur juste prix ? Pourquoi détiennent-ils le monopole de l'exploitation de nos sous-sols ? Pourquoi refusent-ils de construire des usines de transformation en Afrique, ce qui créerait des milliers d'emplois pour les jeunes et limiterait l'immigration clandestine, qu'ils rejettent ? Réfléchissons-y.
Quel pays d'Afrique la Banque mondiale et le FMI ont-ils aidé à sortir du sous-développement ? Les prétendues aides au développement ne sont-elles pas en réalité issues du pillage de nos sous-sols ? Thomas Sankara disait : "La colonisation se trouve dans nos assiettes." J'ajouterais: la colonisation se trouve dans nos têtes. Le système d'asservissement est parfaitement huilé : on nous persuade que tout ce qui est produit sur le continent africain est de piètre qualité. Alors on achète et on consomme occidental, participant ainsi à la prospérité des économies du Nord.

Nul ne pourra empêcher les gens de rechercher le meilleur ailleurs, parfois au péril de leur vie. L’Afrique participe à la croissance de l'Occident tout en tuant ses propres citoyens à petit feu...  »
(Jeune Afrique n°2888)

La vision de la Chancelière Merkel pour l’Afrique
« Le plan Marshall pour l'Afrique subsaharienne que la chancelière allemande Angela Merkel appelle de ses vœux pourrait se révéler salutaire pour le développement économique et social du continent. Il pourrait créer des conditions de vie décentes pour les populations en leur offrant notamment des opportunités d'emploi. Angela Merkel m'apparaît comme la seule dirigeante des pays du G7 réellement désireuse de voir l'Afrique décoller. La preuve, elle a récemment appelé les entreprises privées internationales à y investir massivement. Son appel a été accueilli avec beaucoup d'enthousiasme par le patronat allemand, ce qui est plutôt de bon augure. » (Jeune Afrique n°3022)

Démographie : la grande illusion
« Je me réfère au CQJC de BBY dans JA n°2979, daté du 11 au 17 février. Enfin quelqu'un de sa notoriété et d'origine africaine met le doigt sur l'un des plus graves problèmes du continent: la croissance démographique non maîtrisée, qui ne peut que conduire à davantage de chômage, de pauvreté et de misère.
Ce n'est pas tellement la densité démographique qui est en cause, mais la croissance trop rapide de la population, qu'il est impossible d'accompagner avec le développement des infrastructures sociales et économiques nécessaires, avec la production alimentaire, l'eau, l'électricité... sans parler de la création d'emplois qui resteront tout à fait insuffisants pour offrir un avenir aux millions de jeunes, même si l'on mobilise tous les investissements privés et publics imaginables. Cela finira par l'explosion sociale ou par des migrations massives, mais vers où ?

Dans une précédente édition (JA n°2978, daté du 3 au 10février, p. 58),
l'économiste et démographe français Jean-Marie Cour pense, assez naïvement, que ce problème peut facilement se régler dans l'espace africain. Comme si tous les pays africains un peu mieux lotis étaient généreusement ouverts à l'immigration ! Ses affirmations selon lesquelles "il n'y a jamais eu et il n'y aura pas dans le futur d'explosion démographique" me laissent perplexe... Comme me laissent perplexe ces dirigeants africains qui continuent de se féliciter de la jeunesse de leur pays et du "dividende démographique" qu'elle lui apporterait ! Que la voix de BBY soit entendue ! J'y joins la mienne. » (Dieter Frisch, Ex-directeur général du développement, à la Commission européenne, Jeune Afrique n°2982).

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16 décembre 2018 7 16 /12 /décembre /2018 09:57

AFRIQUE, RÉVEILLE-TOI, LÈVE-TOI ET MARCHE… SANS BÉQUILLES (4)

L’éducation, le savoir, la culture, comme tremplin vers la Rédemption

« L’Afrique noire n’est pas maudite, parce qu’elle a des potentialités. En revanche, ce qui ne va pas, c’est l’image que l’on donne souvent de l’Afrique, le regard que l’on porte sur elle… » (La lettre de la CADE , n°155, septembre 2012).

Précisément, comment justifier ce paradoxe :  

  • l’Afrique aux énormes potentialités
  • l’Afrique et la mauvaise image
  • l’Afrique et le regard dévalorisant ?

D’autre part, malgré ces énormes potentialités, comment concevoir que les Africains continuent de tendre la main, à l’instar des mendiants professionnels ? Cette mendicité permanente contribue-t-elle à améliorer l’image du continent, et à changer le regard porté sur lui ?
À, quoi cela sert-il de posséder des ressources naturelles considérables si on n’est pas en mesure d’en profiter, et si on reste dernier de tous les palmarès mondiaux de développement ?
(voir article3).
Autre condition de la respectabilité : il faut que les Africains, à défaut de s’aimer, se respectent. Qu’ils ne s’aiment pas, soit ; sont-ils pour autant obligés de s’entre-dévorer ?
Il est indéniable que les Africains se détestent « fraternellement ».
N’est-ce pas là la vraie malédiction de l’Afrique ? Si les Africains ne s’aiment pas, et qu’ils s’entre-dévorent continuellement à la face du monde, comment les autres peuvent-ils les aimer et les respecter ?

–Qu’en pensent les Africains eux-mêmes ?
–Est-ce une fatalité ?

–L’Afrique est-elle condamnée à vivre sous le signe de la mauvaise image et du regard dévalorisant ?

Le déclassement historique de l’Afrique noire
     Des racines profondes
     Le passé et le présent

« Le défaut de culture écrite a été doublement déterminant dans le regard porté sur l'Afrique par le reste du monde (particulièrement l'Europe), par tous ceux qui croient qu'il n'y a pas d'histoire sans écriture, ni de civilisation sans histoire écrite. L'Afrique n'entre officiellement dans l'Histoire qu'au XIXe siècle, avec la colonisation, comme si cette date marquait l'apparition par génération spontanée de tout un continent et des êtres qui le peuplent (l'Afrique subsaharienne s'entend). Son histoire propre est niée, gommée ; il ne peut y en avoir faute de preuves écrites et lisibles. L'absence d'écriture a empêché la capitalisation de faits, de connaissances et de richesses culturelles enfouis au sein des siècles et des millénaires, et toute cette sagesse contenue dans l'oralité, « le verbe, la parole, le symbole, le rythme ». Cela explique un long piétinement des techniques et des savoir-faire ancestraux ayant subi les faiblesses et les limites de la mémoire humaine. On fait dater le début de l'histoire de la Chine de 1250 avant J.-C. environ, tout simplement parce qu'on a retrouvé les noms des rois Shang gravés sur des carapaces de tortues datant de cette époque – histoire rimant ainsi avec écriture selon les critères occidentaux.

Les progrès de la langue chinoise au début de ce XXIe siècle et son extension sur le monde vont de pair avec l'expansion économique de la Chine. De plus en plus d'écoles secondaires, en France et ailleurs en Europe, ont incorporé l'enseignement du chinois comme discipline d'excellence parce que langue écrite. Rien de tel pour l'Afrique où, à l'inverse, les langues ont tendance à décliner faute d'écriture. » (Tidiane Diakité, 50 ans après, l’Afrique, 2011)

De fait, du 14e au 18e siècle, l’Afrique noire brilla par son absence aux forums essentiels, matrice du progrès, des savoirs et de la pensée moderne. Elle fut ainsi absente aux premiers forums de l’écriture, à la passionnante aventure des chiffres, et, surtout, au puissant mouvement planétaire du papier.
Elle ne prit pas part non plus au partage du fabuleux et incontournable héritage gréco-romain. !

Restée au bord de la route, elle vit passer, vers d’autres régions du globe, à destination d’autres peuples et d’autres nations, les caravanes chargées de papiers, d’idées, de techniques… au long des siècles et des millénaires !

De la Chine, de l’Extrême-Orient à l’Extrême-Occident, en passant par l’Europe et cheminant jusqu’à l’Afrique du Nord, partout, le papier bouleversa les habitudes traditionnelles, en s’imposant comme le moteur du progrès et de la modernité. L’imprimerie de Gutenberg amplifia son impact, en l’enrichissant au centuple, en en faisant, sans conteste, l’incomparable outil de la culture, le véhicule premier de la pensée et du progrès.
Que serait le monde aujourd’hui sans le papier ?

Les routes du papier
de l’Extrême-Orient à l’Europe et à l’Afrique du Nord (Pierre-Marc de Biasi, Le papier. Une aventure au quotidien)

De l’Extrême-Orient à l’Extrême-Occident, le contournement de l’Afrique noire

Quelques étapes essentielles dans l’introduction du papier dans la vie des États et des sociétés.

« En inventant le papier, au IIIe siècle avant notre ère, la Chine s'est dotée d'un support aux capacités d'innovation si considérables qu'il lui a fallu à peine quelques siècles pour que sa culture écrite devienne la mieux diffusée et la plus puissante du monde, avec un demi-millénaire d'avance sur toutes les techniques en usage dans les autres nations. »

« Une grande partie de l'héritage intellectuel de l'Antiquité occidentale aurait sans doute été perdu si le papier, au VIIIe siècle, n'était pas devenu le support privilégié d'une nouvelle foi, l'Islam, monothéiste et multiculturel, qui, pendant un demi-millénaire, construit son identité en unifiant tous les savoirs de son empire, de l'Indus aux Pyrénées. »

« En entrant dans sa troisième ère, celle des moulins du Nord, le papier soude son destin à celui de l'Europe. Solidaire des aventures de la pensée, des progrès de la technique et des soubresauts de l'Histoire, il  devient acteur : il n'est plus seulement un support qui enregistre, mais un médium agissant, de la Renaissance à la Révolution. » (Pierre-Marc de Biasi, Le papier. Une aventure au quotidien)

L’Afrique noire ne fut pas non plus concernée par le mouvement des humanistes qui rénova la pensée du 14e au 16e siècle, pas plus qu’elle ne fut effleurée par les nouveautés de la pensée véhiculées par les philosophes du 18e siècle, lesquels éclairèrent le monde de leurs Lumières.
Elle ne fut pas non plus frôlée par Descartes et son « Cartésianisme » ni par Montesquieu et son « Esprit des Lois. »

 Mais, est-il trop tard pour les Africains pour tirer profit de ces mouvements de pensées et des savoirs, qui ont si profondément imprégné le reste du monde, et qui justifient leur avance sur les peuples restés au bord de la route de la pensée moderne, génitrice des sciences et des savoirs ?

Où en est-on aujourd’hui ?

 

 

Afrique du Nord : 6 pays ; population : environ 200 millions d’habitants

 

 

 

 

Afrique subsaharienne : 48 pays ; population : environ 1 200 000 000 d’habitants

 


Nombre de chercheurs par million d’habitants

Comment améliore-t-on l’image de l’Afrique noire ?

      L’Éducation et le savoir comme moyen d’ascension ?

En se persuadant que le livre, l’écriture et tout ce que s’y rapporte était l’affaire du Blanc, et ne concernait nullement le Noir (voir article 3), les rois de la côte africaine, qui s’opposaient aux Britanniques voulant leur intimer l’ordre de renoncer à la traite des Noirs, ont commis une faute grave, dans la mesure où beaucoup d’Africains, longtemps après eux, ont adhéré et adhèrent toujours à leur vision du livre qui est en fait le véhicule irremplaçable de la formation de l’esprit, à l’origine de tous les savoirs.
Aujourd’hui, repousser le livre et tout ce à quoi il permet d’accéder, c’est refuser le progrès, c’est faire le choix de rester pour toujours au ras du sol, dans les soutes de l’Histoire.

Le chercheur de terres à coloniser
Une suprématie technique et une logique d’expansion

Comment l’Afrique a-t-elle été dominée au 19e siècle par les Européens ?

Si le Blanc a dominé le monde au 18e siècle comme prétend ce roi nigérian, c’est parce qu’il a assimilé l’apport du livre, celui des chiffres, et s’est nourri, des années durant, des connaissances livresques, scientifiques, techniques acquises par l’éducation qu’il a reçue.
Ce sont sans doute là les raisons de la domination et de la colonisation du continent au 19e siècle.
En se persuadant et en persuadant que le livre et l’écriture étaient « choses » du Blanc, et que le Noir n’avait pas à s’en mêler, ils ont contribué à creuser le fossé entre le reste du monde et l’Afrique.
Quand les Européens ont voulu s’emparer de terres en Afrique, et coloniser ses peuples au 19e siècle, ils se sont servis d’instruments millénaires, sans cesse perfectionnés, ainsi mis à leur portée : la boussole, la règle, le compas, les cartes…  encore plus que du fusil.

En définitive, seuls les Africains sont, aujourd’hui, responsables de l’image de l’Afrique, et , seuls, ils changeront, ou non, le regard sur ce continent, pas seulement en Afrique, mais aussi en France, en Europe, et partout dans le monde.
Le veulent-ils ?

 

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9 décembre 2018 7 09 /12 /décembre /2018 09:09

AFRIQUE, RÉVEILLE-TOI, LÈVE-TOI ET MARCHE… SANS BÉQUILLES (3)

Aide internationale à l’Afrique : pour le développement ou la pérennisation du sous-développement ?

( Dessin de Plantu)

L’aide destinée au développement
     Comment est-elle utilisée ?
     Comment aide-t-on ?

Préalable

Il convient d’avoir l’esprit clair sur ces deux points :

-les raisons ou motivations précises de l’engagement dans l’action d’aider.
-le choix : pourquoi l’Afrique et non une autre région du monde ?

Ce choix de l’Afrique est-il fait en connaissance de cause ?
Connaît-on ce continent, ou veut-on apprendre à le connaître ?

L’engagement d’aider l’Afrique doit-être fait en fonction de ces deux préalables.

S’il est indispensable d’élever les consciences africaines à la conviction que le développement ne s’obtient pas en dormant ou en dansant, que le développement ne vient pas des masses de billets de banque bien tassés, mais uniquement de la volonté de mériter le statut de pays émergent ou développé, il est tout aussi souhaitable que ceux qui s’engagent dans une action d’aide au développement de régions moins avancées soient assurés de leur fait : à savoir qu’aller en Afrique pour aider des peuples à se prendre en main afin de parvenir à un degré d’autonomie leur permettant de se passer de l’aide, est une véritable « mission ».
Par conséquent, aller en Afrique pour aider ne doit s’apparenter — en aucune manière — à une excursion exotique, ni à un safari ou safari-photo.

Cette double responsabilité, la responsabilité des aidés et celle des aidants, assurée, permet d’asseoir l’aide sur des bases sûres, qui la distinguent de l’assistanat ou de l’aide humanitaire.
Cette responsabilité des aidants : associations diverses, ONG, jumelage, est aussi valable dans le cadre de l’aide multilatérale (organismes internationaux) comme de l’aide bilatérale, de pays à pays.

Comment aide-t-on ?
     Les conditions fondamentales de l’aide efficace.

On ne va pas faire pour eux, chez eux, mais on va leur apprendre à faire, leur apprendre des savoirs et des savoir-faire chez eux, en accord avec leurs réalités propres, leurs besoins et souhaits exprimés.
Coordonner des actions entre association, coopérer, coordonner les projets, échanger les expériences, sont d’autres conditions pour une aide efficace.
À cette fin il pourrait être envisagé des rencontres régulières, ou au moins une rencontre dans l’année.

Ce « Forum des Associations d’aide » serait le lieu privilégié de ces échanges d’idées et d’expériences.

Nécessité de coordonner actions et projets

De même qu’il est hautement souhaitable d’échanger les expériences entre aidants, de même il serait souhaitable de se partager les différents domaines d’activités afin d’éviter les doublons et les chevauchements de projets. Ainsi, harmoniser les projets et programmes entre associations, mais aussi avec ceux des autorités locales (centrales ou régionales) constituerait un autre gage d’efficacité de l’aide.

Des vices persistants dans les méthodes et comportements

Le pillage de l’Afrique au moyen de la fuite des capitaux : les fameux « flux illicites », dénoncé depuis les années 1960, continue de coûter à ce continent des milliards de dollars par an ; somme qui serait bien utile au service du développement.
Le récent rapport de l’OCDE sur ce sujet confirme la survivance de ces procédés contraires aux objectifs de l’aide au développement et constituent un exemple évident de l’aide « 
à la pérennisation du sous-développement ».
Le rapport de l’OCDE, publié le 20 février 2018, rappelle ceux du même genre déjà périodiquement rendus publics, avec néanmoins pour ce dernier, le constat d’une aggravation ou amplification du phénomène.
Il s’agit, selon le chef de la division de l’OCDE chargé du développement, « de lutter contre un phénomène de détournement estimé pour le continent, à 50 milliards de dollars par an (40 milliards d’euros), alors que l’aide publique dont a bénéficié l’Afrique n’a pas dépassé 41 milliards de dollars en 2016.
Ce rapport ne manque pas de souligner «  la complicité d’élites africaines »  dans cette fuite des capitaux hors du pays et du continent.

Cet argent frauduleusement soustrait provient de plusieurs origines : profits (bénéfices) truqués de sociétés étrangères, comptabilité sciemment faussée, ou masquée pour tromper la vigilance des contrôleurs du fisc, argent frauduleusement placé à l’étranger par des responsables africains, trafics illicites de toutes sortes… bref, une véritable saignée que rien ne semble arrêter.
Le rapport de l’OCDE révèle quelques exemples d’actes frauduleux ou de pillage de ressources aux dépens de pays africains : « 
le détournement du pétrole fait perdre au Nigeria entre 3 et 8 milliards de dollars par an ; celui de l’or prive le Ghana de presque un tiers de sa production ; en 2014, la contrebande de tabac a amputé les recettes douanières  du Mali de 16,6milliards de dollars…
La pêche illicite, pratiquée notamment par la Chine et la Corée du Sud, prélevait en 2012 dans les régions côtières, entre 11 et 26 millions de tonnes de poisson, d’une valeur comprise entre 10 et 23 milliards de dollars…
 »
Or, tous les pays mis en cause dans ce pillage de ressources au préjudice des États africains sont aussi partie prenante de l’aide publique en faveur du développement de ce continent.

Les associations engagées dans l’aide au développement sur le contient pourraient-elles envisager une parade à ces pratiques, soit en mobilisant, en leur sein ,des cerveaux aptes à agir par leur formation et leurs compétences, soit en formant ou aidant à la formation de ressortissants du continent pour qu’ils jouent le rôle de contrôle, de conseil, pour préserver les richesses des pays, afin qu’elles soient mobilisées  au service exclusif du  développement ? 

Enfin, comment aide-t-on des populations analphabètes à 50 voire 70% ?

Le pire n’est pas que la population soit majoritairement analphabète, mais que certaines familles, voire certains responsable dans les différents États, marquent une indifférence ostensible à toute forme de savoir, à la scolarisation des enfants, des filles en particulier.
Il s’agit, pour l’essentiel, d’une tare qui remonte loin dans l’histoire du continent. Du temps de la colonisation, voire avant, le refus de l’école moderne (comme de tout ce qu’elle apporte) était assimilé à une forme de résistance à la domination européenne (politique, culturelle, religieuse…).
Dans certaines régions, certaines familles ou dans certaines cultures, ce refus persiste, parfois de façon inconsciente.
Mais avant la colonisation proprement dite du 19e siècle, des rois et des chefs étaient persuadés que le livre et la lecture étaient le fait des Blancs, et que les Noirs en étaient exclus par la volonté de Dieu.
Quand l’Angleterre, après avoir dominé la traite des Noirs durant tout le 18e siècle, prit la décision de mettre fin à ce trafic, c’est sur les côtes d’Afrique qu’elle se heurta aux résistances les plus vives de la part de rois africains. Ceux-ci s’opposèrent avec véhémence à cette décision qu’ils trouvaient incompréhensible et dangereuse. Quelques arguments parmi les plus instructifs de leur attitude sont significatifs.
Face à cette âpre résistance de rois africains, le Royaume-Uni passe par deux phases dans sa politique de persuasion : la rétribution des rois récalcitrants pour qu’ils arrêtent le commerce d’esclaves, puis en dernier ressort, la force, avec envoi de navires de guerre et de marins armés…
C’est pendant la première phase que Londres dépêcha des émissaires auprès des rois, chargés d’expliquer sa politique, afin de les persuader de son bien-fondé.

Certains propos sont dignes d’intérêt, d’abord parce qu’ils expriment
-la perplexité de ces souverains face aux arguments britanniques,
-mais aussi leur vision et une certaine philosophie, notamment la séparation entre ceux à qui était destiné le livre, les Blancs, et les autres, c’est-à-dire les Noirs.

Ce dialogue entre le roi de Bony (Nigeria actuel) et l’envoyé spécial du gouvernement britannique, le capitaine Crow en est l’illustration : « … Dieu Tout Puissant nous a faits ainsi [vous les Blancs et nous les Noirs]. Nous croyons que Dieu nous a faits tous. Il a fait que l’homme blanc sait lire dans les livres. Mais votre pays veut gouverner tous les pays du monde… »

Puis, face à l’insistance de l’envoyé britannique, et croyant se débarrasser ainsi de lui, le roi lui offrit deux jeunes filles destinées à la famille royale pour « laver le linge de la reine » d’Angleterre.

Cet autre souverain de la même région, le roi d’Abo, Obi Ossai (Nigeria), tient à peu près le même langage à l’envoyé britannique, non sans avoir souligné au préalable, les incohérences de Londres au sujet du commerce d’esclaves :

« Jusqu’à présent — dit-il — nous pensions que c’était la volonté de Dieu, que les Noirs soient les esclaves des Blancs qui lisent dans des livres qui ne meurent jamais. Les Blancs nous ont d’abord dit que nous devions leur vendre des esclaves. Si les Blancs renoncent à acheter, les Noirs renonceront à vendre. »
                                                                                                                       (Voir Tidiane Diakité, La traite des Noirs et ses acteurs africains, Paris, 2008)

Les associations qui œuvrent sur le continent dans le cadre d’un partenariat pourraient-elles être d’un recours face au chronique et alarmant constat du déficit scolaire en Afrique subsaharienne, notamment, la scolarisation des filles, et convaincre les familles (les pouvoirs publics aussi !) de l’absolue nécessité de l’effort en faveur de la scolarisation et de l’éducation, condition et socle de tout développement ?

 

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2 décembre 2018 7 02 /12 /décembre /2018 09:15

AFRIQUE, RÉVEILLE-TOI, LÈVE-TOI ET MARCHE… SANS BÉQUILLES (2)

Aide internationale à l’Afrique : pour le développement ou la pérennisation du sous-développement ?

( Dessin de Plantu)

Le trop plein de secouristes, de médecins urgentistes  et de brancardiers au chevet du grand malade ? 
       Cacophonie et incohérences

L’Afrique serait-elle victime de l’impressionnant cortège de généreux volontaires pour l’aider à marcher sur ses deux jambes ?
Tous sont-ils mus par la générosité désintéressée, cette charité chrétienne ou cet humanisme militant, qui pousse vers le prochain en difficulté, pour lui tendre une main secourable, par pur altruisme ? La bonne aide, l’aide efficace, celle qui atteint immanquablement son but, est-elle fonction du nombre de mains secourables tendues ? Elles sont en effet nombreuses, diverses et variées, accourant de tous les horizons de l’hémisphère développé.
Ce sont :

des organismes internationaux : ONU, Banque mondiale, FMI, OCDE, Union européenne…

L’aide bilatérale de pays à pays, de pays développés à pays du Sud (Tiers-Monde)

Cette dernière catégorie comporte la plupart des pays développés d’Europe, d’Amérique, d’Asie : France, Allemagne, Royaume-Uni, Pays-Bas, Canada, États-Unis, Japon, Chine, Suède…
Chacun de ces pays compte un ou plusieurs organismes spécifiques d’aide à l’Afrique.

Mais, le plus gros des contingents est fourni par les ONG, et les associations de « coopération décentralisée », qui ont un partenariat dédié à l’aide au développement, dans un ou plusieurs pays, régions, villes, villages d’Afrique. Mais, tous ont-ils l’ouverture d’esprit nécessaire, une connaissance suffisante des terres et des populations qu’ils vont aider ?

Les vices cachés de l’aide

De tous ces vices, le plus pernicieux, dénoncé depuis le début des années 2000 et qui persiste, est surtout le fait des pays les plus riches : c’est cette tendance à subordonner l’aide à des questions d’allégeance politiques, idéologiques, ou simplement d’intérêts privés ; à cet égard, il est instructif de rappeler le constat fait par l’ancien secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan devant l’assemblée générale de cette Instance en 2002 :

« Les pays en développement ont transféré près de 200 milliards de dollars vers les pays développés au titre du service de la dette, du paiement des bénéfices et d’autres opérations qu’ils en ont reçus.
C’est la sixième année consécutive que les pays pauvres ont été des exportateurs de capitaux vers les régions riches…
 » (Note : Publication des Nations unies, 2004).

Par ailleurs, d’après un rapport du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), « les donateurs ne coopèrent pas. Pendant la guerre froide, l’aide publique au développement (APD), était souvent consentie pour obtenir des avantages commerciaux dans les pays bénéficiaires ou pour récompenser des allégeances idéologiques au détriment des objectifs de développement. »

Manque de coordination et incohérences

Ce vice : le manque de coopération entre acteurs du développement, est imputable à tous les acteurs de l’aide et à toutes les catégories d’aide. Il est constaté en Afrique depuis les années 1960.

Dans le même pays, voire la même ville, chaque association, chaque ONG travaille dans son coin, jalousement, dans le secret, sans échanger avec les autres, ses outils, son savoir et ses expériences, même si elle travaille dans le même domaine d’activité que l’association d’à-côté : santé, agriculture, énergie, infrastructures, éducation…

Ce cloisonnement excessif des acteurs et des actions et ce chevauchement des programmes sont sans aucun doute préjudiciables aux bénéficiaires de l’aide, et de nature à contrarier l’action et les projets des autorités locales.
Parfois — un comble ! — les programmes d’aide des organismes internationaux préconisés par des « experts » sont non seulement en contradiction avec ceux du gouvernement local, mais aussi avec tous les autres acteurs de l’aide.
Ainsi, selon un rapport du PNUD sur l’efficacité de l’aide au développement, toujours dans la même période « 
quelque 40 donateurs ont exécuté 2000 projets distincts. Il s’en est suivi une situation de chaos […], qui n’a guère conduit à un développement durable. »
Le même constat (de chevauchement de programmes) est fait au Sénégal, au Ghana, au Mozambique, en Ouganda, et dans bien d’autres pays d’Afrique.

Qui aide-t-on ? Pour quelle finalité ?

L’ancien président de la Banque mondiale, James Wolfensohn écrit :
« 
Depuis 1992, plus de 400 000 projets de développement distincts étaient exécutés dans le monde […]. C’est ridicule. Nous ne coopérons pas. Nous ne coordonnons pas nos activités. Nous ne tirons pas parti des expériences des autres et, dans certains cas, nous ne tirons même pas d’enseignement de notre propre expérience. »

 

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