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23 juin 2019 7 23 /06 /juin /2019 08:22

SOS RACISME : RAPPORT SUR LA DISCRIMINATION AU LOGEMENT
RÉGION PARISIENNE (4)

Comment aller à l’essentiel malgré tout ?
Le vivre ensemble et la paix sociale

Sur le fond
Faire que la diversité des origines, géographiques, langues, cultures, communautés… servent l’unité de la France et la Nation.
      Comment y parvenir sans une intégration réussie ?

      Qu’est-ce que l’intégration ?

 

Les conditions du vivre ensemble heureux

Respect et reconnaissance de l’autre.
Respect des règles communes.
Respect de soi.

Ce n’est pas vivre côte à côte, ni en troupeau dans le même enclos. C’est vivre l’un avec l’autre, l’un pour tous et tous pour l’un.
Le respect est la première condition qui garantit un vivre ensemble heureux.

Le vivre ensemble s’apprend. Le vivre ensemble exige un effort constant de dépassement de soi, l’entrée en rapport avec l’autre, non par le numérique, mais par le contact physique ou spirituel, par le regard, l’attention, l’effort constant de présence à l’autre.
Mais il manquera toujours un élément essentiel au vivre ensemble, s’il ne s’accompagnait du penser ensemble, d’agir ensemble, pour construire ensemble le présent et le futur par tous, pour tous.

Les conditions d’une intégration réussie

L’intégration ainsi comprise n’est pas une option, ni un choix, mais un impératif qui s’impose à tous : immigrés, Français. Il y va de la paix sociale, en vue de l’épanouissement de tous.
Français d’origine, citoyens français d’origine étrangère, étrangers ayant choisi de s’établir en France… chacun, à son niveau, doit nécessairement prendre part à cette œuvre essentielle de paix sociale pour la construction d’un avenir commun, source de progrès individuel et collectif.
Les Africains (ou leurs parents) issus des anciennes possessions françaises d’Afrique, disposent de cet outil essentiel qui devrait contribuer à leur ouvrir les portes de la nation : la langue française qui est pour la plupart d’entre eux, plus qu’une langue : une maison, un refuge, une famille, une patrie. Pour les autres, la maîtrise de la langue n’est pas un choix mais une nécessité, une obligation, pour connaître, se faire connaître, pour comprendre et se faire comprendre.

Mais on ne peut s’intégrer seul, encore faut-il que ceux à qui on tend la main, à cette fin, daignent vous regarder.
Comment s’intégrer alors qu’ils vous tournent le dos ou refuse de vous regarder en face ?

La Civilisation, c’est aussi la capacité de s’émanciper de ces peurs ancestrales sans fondement qui nous éloignent les uns des autres.
Assimilation, association sont, avec indigènes, sans doute les trois mots les plus utilisés officiellement durant toute la colonisation française, sans que ni les Français, ni les indigènes ne puissent en apprécier la portée exacte dans le quotidien.
« 
Assimilation » prend sa source dans la révolution de 1789, précisément dans ces propos du révolutionnaire Condorcet : « Une bonne loi devrait être bonne pour tous les hommes ». Ces propos sont précisément à l’origine de l’égalité et la justice pour tous, c’est-à-dire de l’« égalité républicaine » contre les préjugés de couleur, de religion et de condition.
L’assimilation crée donc le citoyen égal à tous les autres citoyens, à égalité de droits et de devoirs.
De l’assimilation, au sens de fusion totale de l’indigène dans la nation française et son mode de vie intégral, on passe à l’« 
association » qui est définie alors comme une seule entité rassemblant le peuple français et les peuples des colonies, chaque partie conservant ses identités propres, mais tous évoluant ensemble vers le progrès, avec les mêmes droits et devoirs.

Le français, outil précieux d’intégration

Concernant l’intégration de nos jours, il ne s’agit pas de niveler : langues, identités, cultures, mais la pratique de la langue doit être l’objet d’une forte incitation. Elle doit être la condition de l’octroi de certains privilèges et prestations dont sont bénéficiaires les étrangers ou immigrés. La liste de ces prestations peut être l’objet d’une concertation inspirée par le souci des droits humains et celui de la générosité qui caractérise le peuple français.
De même il doit être demandé avec une forte incitation, aux étrangers établis sur le sol de France, d’éviter autant que possible l’usage de langues non comprises de la majorité des Français car, comment vivre avec les autres en usant d’une langue que les autres ne comprennent pas ?

Dans le même ordre d’idée, l’attention des mêmes doit être attirée sur le respect des usages en vigueur dans le pays d’accueil, tels que bruits et comportements bruyants non nécessaires, dans les lieux publics, notamment les transports en communs : bus, trains, ou dans des lieux confinés : cabinets médicaux, salles d’attente…
D’une manière générale, il convient d’éviter toutes les formes de nuisances de nature à gêner l’entourage.

[C’est le lieu de noter que les Africains n’ont pas le monopole des nuisances sonores. J’ai dû déménager à deux reprises avec ma famille, dans cette grande ville de l’ouest de la France (voisins blancs) pour échapper aux nuisances : musique à tue-tête, éclats de voix, tous les soirs, jusque tard dans la nuit.]

À la base, le respect réciproque, le civisme, sont les fondements du vivre ensemble, auxquels s’ajoutent une certaine dose de civilité et une pointe d’empathie selon les tempéraments et les circonstances.
En tout état de cause, la réciprocité constitue la règle de base.

Qui connait les Africains ?
D’hier à aujourd’hui

Les Français le savaient-ils ? Le savent-ils aujourd’hui ?
Les Français connaissaient-ils leurs colonies d’Afrique noire et leurs habitants en 1947 ?

Un véritable cri d’alarme avait été cependant lancé par les autorités françaises, ainsi que par les milieux coloniaux dans les années 1920-1930, après le constat de la profondeur de l’ignorance manifestée par une majorité de Français vis-à-vis de leurs colonies. Conscients de cette distance entre les Français et les Africains colonisés, les groupements coloniaux de même que quelques responsables politiques, jugèrent impératif la mise en œuvre d’une politique active d’« éducation coloniale » : éducation à l’Afrique et à ses habitants, bref, aux réalités économiques et humaines des colonies.
En définitive, il n’y eut pas de géographie coloniale dans les programmes scolaires en France qui puisse permettre de connaître les colonisés d’outre-mer (comme cela avait été suggéré alors), ni apprentissage des langues indigènes, ni éducation des Français à l’Afrique et aux Africains.
On en connaît quelques conséquences de nos jours.

Les Français dans leur immense majorité, connaissent beaucoup moins l’Afrique et les Africains de nos jours que du temps de la colonisation. Ils ne manifestent non plus aucune volonté de les connaître davantage, se contentant pour l’essentiel de préjugés et de stéréotypes anciens, solidement ancrés dans les mémoires depuis le début du 19e siècle, voire les 17e et 18e siècles.
En conséquence, beaucoup pensent toujours, que les Africains vivent dans les arbres et se nourrissent de cueillette et de lézards.
Par ailleurs beaucoup de Français seraient dans l’embarras de distinguer les anciennes colonies françaises des possessions britanniques ou portugaises de jadis, c’est-à-dire les actuelles Afriques francophone, anglophone, lusophone. De même ils ignorent totalement les origines et les objectifs de l’actuelle « 
Institution de la Francophonie » qui prend sa source en Afrique, dans le cerveau de quelques chefs d’État africains.
Rien d’étonnant par conséquent que beaucoup de Français commettent l’erreur de se représenter encore l’Afrique comme un bloc monolithique, alors qu’en réalité, il s’agit d’un vaste continent, le plus varié, le plus divers à tout pont de vue : géographique, économique, culturel, linguistique, humain…
Le terme le plus juste serait plutôt « 
Les Afriques ».

Quoi de commun à cet égard, entre un Gabonais et un Malien, entre un Nigérian et un Sénégalais…, hormis la couleur de peau et la colonisation européenne ?
Comment, dans ces conditions, demander aux Français un effort de discernement entre francophones et lusophones en France ? Pour eux, un Noir, c’est un noir, c’est tout. À quoi bon chercher plus loin ?
En outre, la plupart de nos compatriotes ont une vision binaire, une perception extraordinairement réduite, déformée, du monde et de l’histoire des peuples. Face au Noir notamment, cette vision se résume en deux réalités tranchées : le Blanc et le Noir, le Dominant et le dominé.

On est parfois effaré de constater, chez beaucoup de Français, une ignorance inqualifiable non seulement de l’histoire des colonies françaises d’Afrique mais aussi de leur propre histoire dans ses rapports avec l’Afrique.
Alors, face au Noir d’Afrique, on s’accroche au peu que l’on sait : le vocabulaire « 
petit nègre » que tout le monde comprend : « Toi, y en a quel pays ? »
On ne peut alors s’empêcher de penser au mot d’
André Gide, visiblement assuré de la pérennité :
« 
Moins le Blanc est intelligent, plus le Noir lui paraît bête. »

André Gide (1869-1951)

Passer des barrières qui divisent
Aux ponts qui relient
      Des actes, non des mots.

« Une étude " Les discriminations dans l’accès au logement à Paris : une expérience contrôlée", menée par la fédération TEPP du CNRS, porte sur les offres à la location privée dans Paris intra-muros, qu’elles soient publiées par des agences immobilières ou directement par les propriétaires sur des sites de mise en relation de particuliers (Le Bon Coin, ParuVendu etc.)
[…]
Les conclusions sont sans appel : un candidat perçu comme étant d’origine maghrébine a en moyenne un tiers de chances en moins de recevoir une réponse à sa demande. Pire encore, lorsque ce même candidat mentionne son statut de fonctionnaire, marquant ainsi une stabilité financière, son taux de réponses reste inférieur à celui d’un candidat perçu comme d’origine « française ancienne », ne précisant rien sur sa situation (15,5% contre 18,7%). A contrario, une personne au patronyme « français ancien » indiquant sa stabilité financière atteint un taux de réponses de 42,9% !Il apparaît dans cette étude que les personnes issues des pays d’Afrique  subsaharienne sont celles qui ont le moins de chances d’obtenir une réponse favorable à leur demande…
[…]

Il est urgent d’éveiller les consciences et que les pouvoirs publics prennent enfin toutes les mesures nécessaires afin de mettre un terme à ces discriminations qui touchent bon nombre de nos citoyens ! »
 
(https://sos-racisme.org/discrimination-au-logement-un-rapport-edifiant).

 

Ce rapide survol de quelques réalités à l’origine des préjugés dont les Noirs sont l’objet en Europe, d’une manière générale, donne sans doute une idée des difficultés à briser les stéréotypes qui enserrent l’existence de ceux qui en sont les victimes permanentes.
« 
Les humiliations subies ne s’oublient pas. Elles se transmettent de génération en génération ».
On vit avec ses blessures intérieures, qu’on sublime ou que l’on porte indéfiniment.
Quels sont les objectifs précis assignés au Rapport de SOS Racisme dénonçant les discriminations au logement ?
Sans aucun doute, il faut plus qu’un rapport pour atteindre cet objectif. Un des intérêts de ce rapport, c’est d’éveiller les consciences afin de susciter la nécessaire réflexion sur le chemin à parcourir afin de parvenir au but : le vivre ensemble, la paix sociale et l’épanouissement de tous.

Une œuvre de longue haleine
Un travail de Sisyphe ?

Cette véritable œuvre de « réhabilitation »et de fraternisation que suppose l’objectif du Rapport de SOS Racisme, se heurte à deux écueils de taille :

—l’écueil en Afrique : la faillite humaine, économique et politique de nombre d’États du continent. Il est illusoire de vouloir soigner l’image de l’Afrique et des Africains en Europe, si elle ne l’a pas été préalablement en Afrique.

—l’écueil tout aussi redoutable en France (en Europe d’une manière générale), lié à l’image de l’Afrique et des Africains, dont un certain nombre —force est de l’évoquer— ne soignent pas cette image, bien au contraire, l’abîment profondément. Or, les Français ne sont pas experts en fait de discernement, dès lors qu’il s’agit des ressortissants d’Afrique. Aussi, un Noir qui vole, ce sont tous les Noirs qui sont catalogués de voleurs. Un Noir qui ment ou triche, tous les Noirs sont menteurs ou tricheurs. Le pire, c’est l’image gravement dépréciée qu’offrent les « trafiquants de stupéfiants », qui de ce fait ruine irrémédiablement toute respectabilité due à un continent.

La réussite de toute action de réhabilitation est forcément conditionnée à celle de la lutte en vue de neutraliser tous ceux qui enfreignent la loi.
Tâche certes difficile mais non impossible.
Des programmes spécifiques d’« initiation à la France » et à la vie en France, seront élaborés à cette fin, sous l’égide et la collaboration des municipalités, des Conseils généraux et régionaux.
Quant à l’Afrique, ce dont ce continent a le plus grand besoin de nos jours, c’est d’un sursaut d’audace pour briser les chaînes multiples qui l’entravent, ainsi que  d’un sursaut d’orgueil pour émerger.

 

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16 juin 2019 7 16 /06 /juin /2019 07:55

SOS RACISME : RAPPORT SUR LA DISCRIMINATION AU LOGEMENT
RÉGION PARISIENNE (3)

Le savoir et la volonté de rédemption,
Unique voie de la respectabilité ?

« Une étude " Les discriminations dans l’accès au logement à Paris : une expérience contrôlée", menée par la fédération TEPP du CNRS, porte sur les offres à la location privée dans Paris intra-muros, qu’elles soient publiées par des agences immobilières ou directement par les propriétaires sur des sites de mise en relation de particuliers (Le Bon Coin, ParuVendu etc.)
[…]
Les conclusions sont sans appel : un candidat perçu comme étant d’origine maghrébine a en moyenne un tiers de chances en moins de recevoir une réponse à sa demande. Pire encore, lorsque ce même candidat mentionne son statut de fonctionnaire, marquant ainsi une stabilité financière, son taux de réponses reste inférieur à celui d’un candidat perçu comme d’origine « française ancienne », ne précisant rien sur sa situation (15,5% contre 18,7%). A contrario, une personne au patronyme « français ancien » indiquant sa stabilité financière atteint un taux de réponses de 42,9% !Il apparaît dans cette étude que les personnes issues des pays d’Afrique  subsaharienne sont celles qui ont le moins de chances d’obtenir une réponse favorable à leur demande…
[…]

Il est urgent d’éveiller les consciences et que les pouvoirs publics prennent enfin toutes les mesures nécessaires afin de mettre un terme à ces discriminations qui touchent bon nombre de nos citoyens ! »
 
(https://sos-racisme.org/discrimination-au-logement-un-rapport-edifiant).

Préliminaires : sur la forme
Préjugés et stéréotypes
      Les causes et les moyens d’en sortir, ou de les sublimer

-Qui d’autre que les intéressés eux-mêmes pour accomplir cette tâche ?
-Comment fait-on ?

« C’est dans la connaissance des conditions authentiques de notre vie qu’il nous faut puiser la force de vivre et des raisons d’agir ». (Simone de Beauvoir)

Où les Africains comptent-ils puiser cette force de vivre et les raisons d’agir ?
Pourtant les conditions de vie de nombre d’Africains, sur le continent et ailleurs, offrent mille occasions d’agir.
-pour relever tant de défis !
-pour mettre en valeur les magnifiques et nombreuses ressources dont le continent est doté par la nature !
-pour imposer le respect universel qui lui est dû, en déconstruisant les innombrables stéréotypes construits depuis des siècles, des millénaires, qui continuent de brouiller son image.

Or, tout se passe au contraire comme si les Européens, et d’autres avaient construit, depuis des siècles, des « cages » pour y enfermer les Noirs d’Afrique, et que ces derniers s’y plaisent ou s’y complaisent, convaincus que c’est là où ils doivent être, que c’est « écrit » et qu’il n’y a pas lieu de chercher à en sortir, même s’ils trouvent le lieu inconfortable.

Ils y vivent alors mais, dans la victimisation permanent. Avec parfois, le vague espoir qu’une main secourable ou une âme charitable finira un jour par les tirer de là.

L’écriture chinoise, vieille de plus de 3000 ans

Comment déconstruit-on les images séculaires de l’humiliation ?
Comment la Chine s’en est-elle sortie ?

Pour en sortir, il faut les outils de démolition nécessaires.
Cependant les outils, y compris le savoir, sont et seront toujours insuffisants sans la volonté affirmée de changement.

Le savoir et la volonté de rédemption.
Seule voie de la respectabilité

Quel meilleur symbole du savoir que le papier et l’écriture ?

« Il n’y a pas plus grande arme que la connaissance, ni de plus grande source de connaissance que l’écrit. » (Malala Yousafzai, née le 12 juin 1997. Pakistanaise. Domiciliée à Birmingham, Grande Bretagne).

Le jour où l’Afrique subsaharienne comptera dans les rangs de ses enfants 2 ou 3 Malala, elle aura pris résolument le chemin de la réhabilitation et celui du respect universel.
De fait, cette Afrique subsaharienne est, de nos jours, la région du monde où le papier est quasiment inconnu de la majorité, et l’espace où il est le moins utilisé sous toutes ces formes : lettres, journaux, livres, documents divers…
L’Afrique subsaharienne est aussi l’espace de prédilection de l’oralité, laquelle étouffe littéralement l’écrit et la culture de l’écrit.

Comment légitimement prétendre à la modernité, au progrès de la science et de la pensée, en omettant l’écrit et tout ce qu’il génère : la connaissance de l’histoire, la connaissance des autres, du monde et de soi ?

Le livre, la lecture, c’est le monde en mots. L’écriture, c’est « l’invention du monde ».
Savoir écrire, c’est savoir compter, mesurer…

« Écrire n’a rien à voir avec signifier, mais avec arpenter, cartographier, même des contrées à venir. » (Gille Deleuze et Félix Guattari, Rhizome, 1976).

De fait, avec le livre, la lecture et l’écriture, on invente le monde.
Entre le passé, le présent et le futur, la lecture mène à l’univers, à tout.

« La lecture est une vertu irremplaçable qui enrichit le savoir et fortifie la mémoire. » (Salim Doudiaf)

L’ancien président des États-Unis, Barack Obama, ne dit pas le contraire : « La lecture est importante. Si vous savez lire, alors le monde entier s’ouvre à vous. »

Comment les Africains, en Afrique comme en Europe, comptent-ils parvenir à ce respect, cette réhabilitation, en dehors de ces moteurs qui révolutionnent la pensée et induisent le progrès et la modernité.
L’image que l’on donne de soi façonne aussi le regard des autres. En ce sens, elle n’est jamais anodine ; elle conditionne le respect dans une certaine mesure.

Images d’Afrique

 

 

 

 

 

 

 

 

marché d'esclaves en Libye

De telles images sont-elles compatibles avec une quelconque revendication de respectabilité, de dignité ?
Peut-on obtenir la respectabilité par la seule rédaction d’un rapport, fut-il le mieux argumenté ? Or, en l’occurrence, c’est de cela qu’il s’agit également.
La dépréciation de l’image de l’Afrique noire et de ses ressortissants, aurait-elle atteint cette dimension, connu une telle longévité, si les Africains avaient suivi le modèle des Chinois qui, eux aussi, ont connu le mépris et la disqualification politique ? Certes, la Chine n’est pas l’Afrique, mais l’expérience et le chemin suivi par les Chinois, pour passer du mépris au respect, peut être pour les Africains, source de réflexion.

Comment, par ailleurs, expliquer cette apparente indifférence des responsables politiques africains aux problèmes vitaux qui asphyxient le continent depuis si longtemps : émigration, mieux, fuite éperdue des jeunes vers les rivages européens, parfois au péril de leur vie ? Une jeunesse dynamique, débordante de vitalité, disponible, qui mériterait un autre sort, sans aucun doute. Une jeunesse qui ne demande qu’à être formée, orientée, guidée, pour donner le meilleur d’elle-même.

De même, face au pillage continu des richesses naturelles du continent, avant, pendant et après la colonisation européenne, cette indifférence, ou ce manque d’intérêt des mêmes responsables ne manque pas d’étonner.
Comment expliquer également ce manque patent d’intérêt pour la vie culturelle et la richesse artistique du continent, comme semble le déplorer en ces termes le poète, sociologue, artiste peintre,
Moustapha Saha, natif de continent ?

« Dans les pays occidentaux, où les arts africains étaient identifiés aux collections muséales et aux nostalgies coloniales, les peintres contemporains du Sud n'ont été reconnus que tardivement. Ce n'est qu'en 2005 que l'exposition "Africa Remix", présentée à Düsseldorf, à Londres et à Paris, montre 200 œuvres de 84 artistes, les multiples facettes d'un art ancré dans les ancestralités vivantes et les urbanités présentes, porteur des tendances les plus novatrices, démystificateur des primitivismes exotiques.
Les artistes africains sont de plus en plus sollicités dans les salons internationaux. Des foires et des ventes spécialisées leur sont consacrées dans les grandes capitales. Leurs œuvres se retrouvent dans des fondations prestigieuses, l'African Artists for Development, à Paris, le Contemporary African Art Collection, à Genève... Malheureusement, faute de reconnaissance dans leur pays, beaucoup d'artistes s'expatrient. À l'exception du Maroc, de l'Afrique du Sud et du Nigeria, le continent manque cruellement d'infrastructures culturelles, de soutiens à la création.
 » (Jeune Afrique, n° 3040, du 14 au 20 avril 2019)

Saha Moustapha

Au- delà du « Rapport  et de la dénonciation de la discrimination au logement » qui est tout à fait méritoire et  significatif d’une prise de conscience salutaire,
-que faire ?
-comment faire ?
-qui pour le faire ?

« Chaque lecture est un pas en avant pour la liberté et un pas en arrière pour la dictature. »

 

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9 juin 2019 7 09 /06 /juin /2019 08:11

SOS RACISME : RAPPORT SUR LA DISCRIMINATION AU LOGEMENT
RÉGION PARISIENNE (2)

Comment sortir du trou de l’Histoire ?
Le savoir et la volonté de rédemption

« Une étude " Les discriminations dans l’accès au logement à Paris : une expérience contrôlée", menée par la fédération TEPP du CNRS, porte sur les offres à la location privée dans Paris intra-muros, qu’elles soient publiées par des agences immobilières ou directement par les propriétaires sur des sites de mise en relation de particuliers (Le Bon Coin, ParuVendu etc.)
[…]
Les conclusions sont sans appel : un candidat perçu comme étant d’origine maghrébine a en moyenne un tiers de chances en moins de recevoir une réponse à sa demande. Pire encore, lorsque ce même candidat mentionne son statut de fonctionnaire, marquant ainsi une stabilité financière, son taux de réponses reste inférieur à celui d’un candidat perçu comme d’origine « française ancienne », ne précisant rien sur sa situation (15,5% contre 18,7%). A contrario, une personne au patronyme « français ancien » indiquant sa stabilité financière atteint un taux de réponses de 42,9% !Il apparaît dans cette étude que les personnes issues des pays d’Afrique  subsaharienne sont celles qui ont le moins de chances d’obtenir une réponse favorable à leur demande…
[…]

Il est urgent d’éveiller les consciences et que les pouvoirs publics prennent enfin toutes les mesures nécessaires afin de mettre un terme à ces discriminations qui touchent bon nombre de nos citoyens ! »
 
(https://sos-racisme.org/discrimination-au-logement-un-rapport-edifiant).

Préliminaires : sur la forme
      Préjugés et stéréotypes
      Les causes et les moyens d’en sortir, ou de les sublimer

Tous les peuples, y compris les peuples d’Europe, ont connu des préjugés et stéréotypes fabriqués par d’autres, à leur intention. Ils sont généralement connus, mais même s’ils sont anciens, ils n’ont aucun effet négatif ou dévalorisant, de nos jours, pour ceux qui en sont l’objet.
La France en connait quelques-uns de bien savoureux.
Qui ignore le titre de « 
mangeurs de grenouilles » ?
De même ceux-ci :

« —Tu savais que d’après un sondage, un tiers des Français croit encore que le Soleil tourne autour de la Terre ?
—Ah ? et les deux autres tiers ?
—Ils croient que le Soleil tourne autour de la France… »

« Mais le Français est surtout arrogant. Ce trait de caractère semble être une constante chez le Français d'aujourd'hui. Paul, étudiant à Shanghai, estime que les étrangers trouvent les Français "arrogants, individualistes, négligents". Même son de cloche chez Yves, expatrié en République tchèque : "Pour les Tchèques, la France est un grand pays, mais qui se croit plus grand qu'il n'est." »

« Tu veux faire de l'argent ? C'est très simple. Achète un Français. Mais, attention. Tu l'achètes au prix que tu estimes juste, pas au-delà. Et ensuite, tu le revends au prix qu'il pense valoir. »  (Marie Treps, Oh là là ces Français !)
                                                                                                                                

Il en existe bien d’autres.

Goethe (1749-1832)

L’écrivain allemand, Goethe, considéré par tous ses biographes comme le plus francophile des Allemands, brosse un tableau contrasté des Français :
« Aimable, vif, intelligent, cultivé, éminemment sociable et courtois, doué d'un sens pratique avisé et ne perdant jamais le contact avec la réalité, clair par son esprit et dans sa façon de présenter ses idées, ingénieux à les vulgariser, le Français a tous les défauts de ses qualités. Léger, frivole, superficiel, inconstant, hanté jusqu'à la manie par le souci de plaire, n'agissant jamais par désintéressement, donnant le pas à l'agrément sur la vérité, à la forme sur le fond, à la convention sur la nature, dépourvu d'idéalisme, toujours ballotté entre les idées ou les partis extrêmes, infatué de lui-même et de sa culture, incapable d'estimer ce qui n'est pas lui, méfiant et dédaigneux à l'égard de tout ce qui est étranger, esclave de son Paris, de ses traditions nationales... »

 

Cependant, Goethe dans son jugement, semble justifier plus loin le qualificatif de francophile qui lui fut attribué toute sa vie lorsqu'il s'exclame :

« Comment aurais-je pu écrire des chants de haine, sans haine !

Comment, alors que civilisation et barbarie sont pour moi si importantes, aurais-je pu haïr une nation qui est au nombre des plus civilisées de la terre, et à qui je dois une si grande part de ma propre culture ? »

 

Mais, quel Français normalement constitué, peut se déclarer aujourd’hui, victime, ou souffrir, de ces stéréotypes devenus sujet de plaisanterie, sans autre conséquence ?
Pour les Africains en revanche, les préjugés sont encore plus anciens et toujours vivants, dévalorisants pour ceux qui les subissent. Si ces préjugés sont pléthores, il y en a deux qui datent de la nuit des Temps et font toujours le plus mauvais effet pour ceux qui en sont victimes.

 

Le premier concerne le sexe du Noir : tout particulièrement sa longueur, qui date de l’Antiquité, et qui fait toujours recette. Claude Galien (vers 131 après J.C. et 201 après J.C.), médecin grec, la plus grande figure de la médecine antique après Hippocrate, un des grands fondateurs des principes de base de la médecine européenne pendant plusieurs siècles, n’a-t-il pas défini le Noir par ces quelques traits physiques, selon lui caractéristiques de la race : la longueur démesurée du sexe, l’activité sexuelle débordante, et la grande hilarité ?
Certains, aujourd’hui encore, cherchent à vérifier ces propos vides de sens.

Le deuxième préjugé, parmi ceux dont sont qualifiés les Noirs, c’est l’anthropophagie. Léopold II, roi des Belges, qualifie les Congolais de « race de cannibales » au 19e siècle.

La nouvelle tunique de Nessus ?

Ce qui différencie les Africains des autres peuples à cet égard, c’est le fait, que les préjugés, en plus de leur permanence, ont tellement pénétré ceux pour qui ils ont été fabriqués, qu’ils finissent par y croire, par les intégrer, ou tout au moins, à les utiliser contre des peuples voisins.

Je me souviens que quand nous étions jeunes, nous croyions que les habitants de deux pays voisins mangeaient de la chair humaine, se mangeaient entre eux. La légende affirmait que, précisément pour cette raison, il n’y avait pas de cimetière dans ces pays, puisque les morts étaient aussitôt mangés.
Or, après mes études supérieures, j’ai enseigné dans ces deux pays, et j’ai pu vérifier qu’il y avait bien des cimetières comme partout ailleurs, et qu’on y enterrait bien les morts.Mais avant mon départ, des proches et amis avaient tenté vainement  de m e dissuader d'y aller.
J’ai moi-même assisté à plusieurs enterrements pendant mon séjour.

Mais, quelle ne fut pas ma stupéfaction lorsque j’appris dans chacun de ces pays, que les habitants de mon pays d’origine mangeaient leurs morts !

Je crus comprendre la raison de la permanence de ces « mensonges » fabriqués depuis si longtemps.
La première leçon que cela me permit d’apprendre, est que les Africains, pour la plupart victime de leur ignorance, sont dénués de tout sens critique dans leur éducation, avatar de l’éducation traditionnelle qui ignore « 
la preuve » ; par conséquent, on ne la recherche pas .On ne pose pas de question, on ne se pose pas de question. On affirme, c’est tout. C’est le destin, la fatalité. On ne vérifie pas, c’est décidé, et c’est ainsi. Comment peut-on vérifier, chercher des preuves, quand on ne sait ni lire, ni écrire…De plus, le fatalisme, cette plaie incurable, apparemment, écrase l’esprit, stérilise la pensée, et rend inapte au progrès scientifique, au progrès tout court.

Réflexion qui me permit de comprendre le sens profond de ces propos d’Emmanuel Mounier pour qui les colonisateurs européens sont responsables de ce qu’ils appellent chez les Africains « des complexes d’infériorité », car ces derniers finissent par intégrer l’essentiel des stéréotypes et préjugés dévalorisants que leurs maîtres colonisateurs leurs ont accolés. Ils finissent ainsi par se dévaloriser eux-mêmes, non seulement face aux Blancs, mais entre eux.

« La plupart des Noirs ont honte d’être noirs, une honte secrète qu’ils ne font pas leur, mais qui hante jusqu’à leur fierté. Nous leur avons donné cette honte. Nous avons le devoir de la leur enlever », assure Mounier.

Personnellement, je n’ai jamais compris, ni admis ce principe de hiérarchie lié au hasard de la naissance, cette loterie selon laquelle, on est maître ou esclave selon qu'on est né au Nord ou au Sud. En revanche, je crois à la valeur individuelle, de celui qui fait des efforts pour se construire, s’élever au-dessus de sa condition, sans mépriser les autres.
L’homme "supérieur", c'est celui qui se distingue par un quotient d’Humanité  et d'humanisme élevé.
Autre certitude que nous pouvons tirer de ce constat : sans esprit critique, le cerveau n’est qu’un organe mort, éteint, inopérant, qui ne peut fonctionner à la hauteur de ses immenses potentialités.
L’esprit critique stimule la pensée libre, la curiosité, source de la créativité, de l’innovation. Elle est à l’origine de la science moderne, c’est-à-dire, du raisonnement inductif et déductif.

Et la Chine ?
      Objet de réflexion ?
      Source d’inspiration ?

Comment donc expliquer le spectaculaire bond de la Chine vers le sommet du monde, au moment-même où l’Afrique de son côté, semble au mieux piétiner, au pire, entamer une marche accélérée vers les bas-fonds de l’Histoire ?
De fait, quand les « chinoiseries » des 17e et 18e siècles, deviennent pour les Chinois du 21e siècle, des produits de haute technologie, sophistiqués, qui sèment l’effroi dans les rangs de ceux-là mêmes qui n’avaient que mépris et stéréotypes dégradants pour l’Empire du milieu.
Le Dragon s’est réveillé, et, fièrement dressé sur ses pattes, nargue ses détracteurs d’hier de sa puissance commerciale, technologique, économique …

Comment briser les cages d’enfermement ?

Comment comprendre cette spectaculaire ascension technique, économique et scientifique de la Chine d’aujourd’hui, en omettant ses splendeurs passées, jusqu’au 19e siècle, date de la confrontation avec les Européens ?
Comment l’expliquer en oubliant sa splendeur culturelle, sous la dynastie Qing (1644-1912), son apport à la culture universelle bien avant cette dynastie : l’invention de la poudre, de la boussole, l’apport à l’écriture… ?

Bref, comment expliquer la Chine d’aujourd’hui en omettant son savoir ancien et moderne ?

De quelles armes disposent les Africains d’aujourd’hui pour briser toutes les « cages » dans lesquelles ils sont enfermés depuis le 16e siècle au moins ?
Qui d’autre que les Africains eux-mêmes pour s’atteler à cette tâche de réhabilitation, de rédemption et de quête de respect ? Peut-on réussir et relever de si lourds défis sans l’instruction, la formation, surtout la volonté ferme de réussir l’escalade de tant d’Annapurna ?

Qui d’autre que les Africains ?

Emmanuel Mounier (1905-1950)

Un grand Humaniste peu connu

Emmanuel Mounier, philosophe et écrivain français, agrégé de philosophie, fut influencé par les idées et l’œuvre de Charles Péguy. Il conçut l’idée de réaliser une synthèse entre le christianisme et le socialisme. Sa vie durant il ne cessa de mettre en pratique, en toute circonstance, cette doctrine qu’il nomma le « personnalisme » parce qu’elle affirme « le prima de la personne sur les considérations matérielles et matérialistes ».

Il fonda la revue Esprit en 1932.

Lors de sa longue tournée africaine en 1947, Emmanuel Mounier fut outré de constater les conditions de vie indignes imposées aux 2 millions de natifs du Liberia, « République libre et indépendante » (1847), par d’anciens esclaves noirs américains, transférés dans cette région d’Afrique par quelques philanthropes blancs afin qu’ils puissent enfin être définitivement libres.
Ces 18000 nouveaux arrivés eurent vite fait de réduire leurs frères de couleur à un esclavage pire que ce qu’ils ont vécu eux-mêmes aux États-Unis.
Ce constat qui heurta profondément les idées humanistes de Mounier, lui inspira la réflexion suivante :
« 
Je veux seulement montrer —et le Liberia le montre avec éclat— que beaucoup de griefs que nos amis noirs font au Blanc, ne sont pas des actes Blanc contre Noir mais Fort contre Faible. »

En d’autres termes, en analogie avec le sujet de cet article, si les Noirs avaient disposé, comme les Chinois ou d’autres, de la même puissance scientifique, technologique, économique… auraient-ils été victimes de discrimination au logement en région parisienne, comme le suppose le rapport de SOS Racisme ?
Autrement dit, c’est parce qu’on est faible, qu’on est discriminé. Non pas forcément parce qu’on a telle ou telle couleur de peau mais parce qu’on est faible, parce qu’on est pauvre…

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2 juin 2019 7 02 /06 /juin /2019 09:59

SOS RACISME : RAPPORT SUR LA DISCRIMINATION AU LOGEMENT
RÉGION PARISIENNE (1)

Peut-on lutter contre ce phénomène ?
Peut-on l’éradiquer ?
À Quelles conditions ?
Réalité ou utopie ?

« Une étude " Les discriminations dans l’accès au logement à Paris : une expérience contrôlée", menée par la fédération TEPP du CNRS, porte sur les offres à la location privée dans Paris intra-muros, qu’elles soient publiées par des agences immobilières ou directement par les propriétaires sur des sites de mise en relation de particuliers (Le Bon Coin, ParuVendu etc.)
[…]
Les conclusions sont sans appel : un candidat perçu comme étant d’origine maghrébine a en moyenne un tiers de chances en moins de recevoir une réponse à sa demande. Pire encore, lorsque ce même candidat mentionne son statut de fonctionnaire, marquant ainsi une stabilité financière, son taux de réponses reste inférieur à celui d’un candidat perçu comme d’origine « française ancienne », ne précisant rien sur sa situation (15,5% contre 18,7%). A contrario, une personne au patronyme « français ancien » indiquant sa stabilité financière atteint un taux de réponses de 42,9% !Il apparaît dans cette étude que les personnes issues des pays d’Afrique  subsaharienne sont celles qui ont le moins de chances d’obtenir une réponse favorable à leur demande…
[…]
Il est urgent d’éveiller les consciences et que les pouvoirs publics prennent enfin toutes les mesures nécessaires afin de mettre un terme à ces discriminations qui touchent bon nombre de nos citoyens ! »  (https://sos-racisme.org/discrimination-au-logement-un-rapport-edifiant).

Préliminaires : sur la forme
Les racines du « Mal »
     Anthologie multiséculaire de l’ignorance ou du mépris gratuit ?

     Regards croisés de personnalités ou d’auteurs  inspirés par le sujet.

 

Propos de James Baldin, écrivain noir-américain (1924-1987) dans la Revue le  Un, no°170

« La glorification d'une race et le dénigrement corollaire d'une autre ou d'autres a toujours été et sera toujours une recette de meurtre. Ceci est une loi absolue. Si on laisse quelqu'un faire subir un traitement particulièrement défavorable à un groupe quelconque d'individus en raison de leur race ou de la couleur de leur peau, on ne saurait fixer de limites aux mauvais traitements dont ils seront l'objet et puisque la race entière a été condamnée pour des raisons mystérieuses il n'y a aucune raison pour ne pas essayer de la détruire dans son intégralité. »

Le célèbre anthropologue, Claude Lévi-Strauss écrit dans « Race et culture » :

« Parler de contribution des races humaines à la civilisation mondiale pourrait avoir de quoi surprendre, dans une collection de brochures destinées à lutter contre le préjugé raciste. Il serait vain d'avoir consacré tant de talent et tant d'efforts à montrer que rien, dans l'état actuel de la science, ne permet d'affirmer la supériorité ou l'infériorité intellectuelle d'une race par rapport à une autre, si c'était seulement pour restituer subrepticement sa consistance à la notion de race, en paraissant démontrer que les grands groupes ethniques qui composent l'humanité ont apporté, en tant que tels, des contributions spécifiques au patrimoine commun. Mais rien n'est plus éloigné de notre dessein qu'une telle entreprise qui aboutirait seulement à formuler la doctrine raciste à l'envers. Quand on cherche à caractériser les races biologiques par des propriétés psychologiques particulières, on s'écarte autant de la vérité scientifique en les définissant de façon positive que négative. »

Robert Solé (journaliste et écrivain) s’interroge :

« Pourquoi dit-on d'un Noir qu'il est un "homme de couleur" Senghor s'en indignait dans un poème cinglant. À l'homme blanc, il lançait en substance : moi, je suis noir en toutes circonstances, mais, toi, tu deviens rouge au soleil, bleu quand tu as froid, jaune quand tu es malade... Bizarrement, on dit "homme de couleur" alors que, pour la plupart des gens, le noir n'en est pas une. C'est d'ailleurs l'un de ses rares points communs avec... le blanc. Pour le reste, tout les oppose dans la culture occidentale, et la balance est loin d'être égale. Le blanc évoque la propreté, la pureté, l'innocence, la virginité. C'est la couleur des anges du paradis, des robes de mariée et des machines à laver. Le noir, lui, est associé au deuil, aux ténèbres, au démon. L’État islamique n'a pas contribué à le servir en l'adoptant pour son drapeau. Cette couleur reste néanmoins un symbole d'autorité et d'élégance : les hommes politiques en font leur costume officiel, même après l'abandon du chapeau haut de forme. Les stylistes vous diront cependant que noir et blanc "se marient bien". Pour des rayures, rien ne vaut l'alliance de ces deux extrêmes, fièrement exhibée par le zèbre. Des photographes et des cinéastes sont attachés au "noir et blanc", qui leur permet de jouer avec les ombres et la lumière, sachant qu'il comporte mille nuances de gris. Née de leur fusion, cette dernière couleur, métissée, tout en subtilité, se distingue radicalement  de ses deux géniteurs. C’est l'envers du manichéisme, le contraire du tout ou rien.\ Dans Les Cerfs-volanst (1980), Romain Gary s’exclamait. " Le blanc et noir, il y en a marre. Le gris,  il n'y a que ça d'humain." »

Pour André Malraux « les fascistes au fond, croient toujours à la race de celui qui commande ».

D’autres regards, d’autres tableaux du Noir du temps de la colonisation, 19e-20e siècle

« Il suffit de cataloguer les arguments forgés pour les besoins de la cause.
Leroy-Beaulieu fait appel à l’âme même des collectivités humaines qui doivent, sans relâche, élargir leur horizon,
écrit Paul Louis, dans son ouvrage Le colonialisme (1905), où il cite le géographe et théoricien de la colonisation française sous la IIIe République.
Les devoirs de gens policés, vis-à-vis de ceux qui ne le sont pas, ou qui le sont moins, ont été des centaines de fois, invoqués. Les groupements politiques de l’Europe occidentale ou centrale, qui jouissent d’une Constitution, de certaines libertés, d’un semblant d’ordre public, qui ont réussi à assurer la sécurité des routes et purger des forêts des bêtes fauves, ont des obligations strictes et inéluctables à l’égard des tribus d’Océanie ou d’Afrique.
Peuvent-ils permettre que des roitelets fauchent des milliers de vies humaines, que les missionnaires soient exterminés, que les trafiquants (européens) soient attirés dans d’abominables guet-apens ?
La civilisation que nous avons reçue en dépôt des Grecs et des Romains, nous ne saurions la garder immobile, inféconde entre nos mains. […] Nous manquerions à notre tâche la plus sacrée, si nous n’allions pas supprimer sur la côte de Guinée [nom communément employé en France du 16 au 19e siècle pour désigner l’Afrique noire], les massacres traditionnels, ou abolir la traite esclavagiste sur les Grands Lacs africains. 
»

Paul Leroy-Beaulieu (1843-1916)

Paul Louis résume comme suit la pensée et les théories de coloniaux plus « radicaux » :
« 
Pour justifier ce programme on a façonné la théorie d’expansion, de "races supérieures et inférieures".
Le Blanc est l’homme supérieur ; aucun autre type d’être vivant ne pourrait être comparé à lui. De même qu’il a domestiqué le cheval, le chameau et le chien, de même, il mettra en tutelle tous les hommes qui ne sont pas blancs. Une volonté providentielle les a destinés à servir, à peiner pour autrui, à travailler sans être récompensés. »

L’esclavage fut, de tout temps, un sujet de prédilection pour convaincre les populations européennes du bien -fondé de la colonisation ainsi que la domination du continent africain, particulièrement à partir du milieu du 19e siècle.
Ainsi « 
toutes les nations ont voté des lois qui libèrent les esclaves et qui prohibent la traite. Et pourtant, de temps à autre, le scandale éclate ; on apprend brusquement que des trafiquants exercent encore leur profession, au Soudan, à Lagos, au Cameroun… Dans les dernières années, les tribunes de tous les parlements, en Europe, ont retenti d’accusations qu’on rejetait d’abord, avec dédain et qui, en réalité, étaient bien justifiées.
Lorsque l’esclavage ne sévit pas sous son aspect ancien, il revêt une forme nouvelle. La corvée, le travail obligatoire, peu ou pas rétribué, reconstituent une classe de serfs pressurés et abrutis, qui n’ont même pas la sécurité de leurs aînés, parce qu’ils ne représentent pas ostensiblement une valeur marchande.
Le Nègre est libre en principe, aussi libre que le citoyen français ou que l’électeur anglais, en fait il est toujours assujetti…
" (idem)

Certains regards sur les Noirs font preuve de plus d’originalité, telle cette vision des Africains confrontés aux difficultés du sous-développement, vision relevée dans des copies d’élèves de 11 à 13 ans, invités par un questionnaire approprié, à réfléchir aux moyens d’aider les populations du continent, à sortir du sous-développement (année 1992).
Certaines réponses exprimées de bonne foi, ne manquent pas de piquant.

« Il faut leur apprendre à manger. »
« Il faut leur apprendre à lire. »
« Il faut leur apprendre à travailler… »
« Il faut leur apprendre à se laver bien, sinon ils seront malades et comme ils sont pauvres, ils n’ont pas d’argent pour acheter des médicaments ; alors, s’ils sont malades tout le temps et qu’ils n’ont pas d’argent pour acheter des médicaments, ils ne pourront plus travailler pour se développer. 
»


Pour d’autres théoriciens de la colonisation en Afrique, les avis sont encore plus tranchés, explicites.
Ainsi, pour
Friedrich Hegel (1770-1831), philosophe, allemand de l’histoire, l’Afrique n’a pas d’histoire :
« Ce continent n’est pas intéressant du point de vue de sa propre histoire, mais par le fait que nous voyons l’homme dans un état de barbarie et de sauvagerie qui l’empêche encore de faire partie intégrante de la civilisation. L’Afrique, aussi loin que remonte l’histoire, est restée fermée, sans lien avec le reste du monde ; c’est le pays de l’or, replié sur lui-même, le pays de l’enfance qui, au-delà du jour de l’histoire consciente, est enveloppé dans la couleur noire de la nuit »

Friedrich Hegel (1770-1831)

De tous les portraits et rapports concernant les peuples d’Afrique noire, de la fin du 19e siècle au début du 20e, le rapport connu sous le nom de Rapport Challaye, apparaît le plus documenté, le plus minutieux et le plus rigoureux.
Membre de la
Mission Brazza, le professeur agrégé de philosophie, Félicien Challaye (1875-1867) fut chargé par l’État d’étudier les mesures appropriées pour l’enseignement dispensé aux indigènes du Congo (en réalité toute la région d’Afrique centrale sous la domination française).

Le professeur enquêteur jugea d’emblée, dès les premiers contacts avec les populations, d’accorder une place de choix à l’étude de la psychologie de ces indigènes, ce qui l’amena à s’intéresser à tous les aspects de leur quotidien : aux rapports familiaux, à la religion, aux pratiques diverses : relation d’amitié, d’amour, à l’art…
On apprend ainsi le rapport du peuple congolais au temps :

« L’habitude joue un grand rôle dans la vie monotone du noir : il tend à répéter mécaniquement, instinctivement, indistinctement ses actes passés, mais il est peu favorisé au point de vue de la vraie mémoire (la mémoire des images et des idées) : ses souvenirs sont vagues et confus. Il a peine à évoquer les images changeantes des temps écoulés ; il mêle à ce qu’il se rappelle ce qu’il imagine, et se laisse prendre lui-même à ses propres fictions. Il ignore jusqu’à son âge.
Se souvenant mal de ce qui a été, il est incapable de se représenter à l’avance ce qui sera. Ainsi, l’exclusive sensation présente et de tyrannique désir de jouissance immédiate chasse de ces petites âmes le souvenir du passé et l’attente de l’avenir.
On comprend alors que les Noirs du Congo n’aient aucune sentimentalité propre, ni art, ni science, ni véritable religion.

[…]

Cependant, si le Noir manque généralement de bienveillance, il a un assez claire sentiment de justice, accepte facilement une punition qu’il estime méritée. »

 

À la question : les peuples congolais sont-ils en mesure d’être soumis aux mêmes programmes d’enseignement qu’en métropole, le rapporteur précise :

« N’ayant pas d’écriture, ils n’ont même, pour ainsi dire, pas de littérature orale. Pas d’architecture, pas de peinture, pas de dessin.
Les seules manifestations d’ordre esthétique qu’on trouve chez eux, c’est la danse, sorte de mimique érotique, et la musique instrumentale et vocale, primitive et monotone.
La science leur est encore plus étrangère que l’art. Comme les animaux eux-mêmes, ils généralisent instinctivement, sous l’influence des nécessités pratique.
 »

Et Lucien Challaye conclut :

« N’ayant aucune idée de la liaison causale des phénomènes, ils sont incapables de sciences expérimentales, physique, chimie, biologie. N’ayant aucune tradition, dépourvus de toute curiosité désintéressée, ils ne peuvent comprendre le sens ni la beauté de l’histoire. »

Enfin, ultime verdict « cruel » :

« On pourrait à la rigueur leur faire répéter des mots, des phrases, des formules : on n’arrivera pas à les leur faire comprendre […]. La médiocrité de leur intelligence empêchera longtemps de leur transmettre des connaissances générales théoriques et désintéressées. ».

Léopold II, roi  des Belges, veut, lui, "civiliser" les Noirs du Congo par le travail:

" Il est nécessaire - assure-il- avec une race constituée de cannibales,d'utiliser des méthodes propres à secouer leur paresse et à leur apprendre le caractère sacré  du travail".

 

Enfin, pour Richard Nixon, président des États-Unis de 1968 à 1974 : « Les Noirs sont incapables de se gouverner. […]. Connaissez-vous un "pays noir" qui a été bien gouverné ? »

Quant aux Chinois, le président américain précise : « Les Chinois sont le peuple le plus compétent de la planète. »

Cette anthologie d’ignorance ou de mépris, littérature abondante et variée fut pour l’essentiel peu favorable aux Noirs, malgré quelques notables exceptions.

Petites questions indiscrètes

- Pourquoi une telle littérature et de tels propos généralement défavorables aux Noirs ont-ils pu traverser intacts les siècles, sans prendre la moindre ride ?
- Quel autre peuple au monde que les Noirs d’Afrique, a-t-il connu pareil « notoriété » ?
Car comme les Noirs d’Afrique, les Chinois, eux aussi, furent au 19e siècle, objet de mépris, dominés et spoliés par les Européens.
Comment explique-t-on la distance qui sépare aujourd’hui, les chinois et les Africains, notamment au point de vue scientifique, économique, technique… ?

Connaît-on, aujourd’hui un seul historien ou intellectuel africain qui ait tenté une analyse critique, rigoureuse et objective, c’est-à-dire constructive de toute cette anthologie ou littérature produite par des auteurs étrangers au continent ?
Une telle œuvre, d’Africains, à caractère pédagogique, destinée à faire connaître le continent par ses fils, faciliterait certainement la rencontre d’autres peuples. L’immense majorité des observateurs ou auteurs étrangers qui ont écrit sur les Africains ne se sont jamais rendus sur ce continent ; ils ont, de ce fait, porté sur ces peuples un regard autocensuré, source de malentendu, surtout d’erreurs  voulues ou inconscientes.
La minorité de ceux qui se sont rendus en Afrique ont sans doute rencontré des Africains, mais certainement pas l’« âme africaine ». Les générations qui les suivent sont ainsi victimes d’une forme d’« intoxication intellectuelle », toujours de mise de nos jours, qui complique parfois les rapports humains, et faussent ainsi bien des perspectives. Autant d’occasions manquées.
Et je nous épargne le spectacle dégradant, ainsi que les images si marquantes des fameux zoos humains des 19e et début 20e siècles.

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26 mai 2019 7 26 /05 /mai /2019 08:02

LE FAIT DIVERS, AUTOPSIE DE NOUS-MÊMES
L’EXPERTISE DE ROGER GRENIER

Le fait divers, objet précieux d’introspection

Roger Grenier (1919-2017)

Roger Grenier (1919-2017, écrivain, journaliste, animateur de radio français, engagé dans le Second Conflit mondial, participe à la libération de Paris en 1944. Après la guerre, il devient collaborateur d’Albert Camus dans l’équipe de rédaction de « Combat » et de « France-Soir ».
Roger Grenier se spécialise, comme journaliste et écrivain, dans les procès qui ont suivi la libération, activité qui lui inspire l’ouvrage qu’il publie en 1947, « Le rôle d’accusé ».

L’utilité du fait divers

« Pour la plupart, le fait divers n'est apprécié que comme anecdote scabreuse, mauvais exemple, récit où l'imagination commet ou subit à bon compte le vol, le meurtre, le viol, la torture. Et les mêmes moralistes qui interdisent les livres maudits demandent que la presse ne fasse plus de publicité aux faits divers, ne mette plus de "sang à la une".

Je connais un journal de bonne foi qui s'était proposé, à sa création, de ne pas céder à ce goût dépravé du public. À l'occasion de l'arrestation de Petiot (voir note), il publia une note pour dire qu'il ne consacrerait à l'événement que la juste place que celui-ci méritait dans le mouvement de l'actualité, un petit article en bas de colonne. Plusieurs mois après, quand Petiot comparut devant les Assises, ce journal fut celui qui accorda le plus de place au compte rendu des audiences. Pourquoi ? Parce que ses rédacteurs avaient compris que le fait divers, dont ils avaient raison de rejeter le côté sordide, contenait une riche matière humaine qui valait la peine d'être révélée. Et il n'y avait rien de bas dans ce qu'ils ont publié sur le docteur de la rue Caumartin. Dans cette revue même, on a pu se pencher sur le cas de Petiot et y voir, comme dans un miroir déformant, le reflet de toutes les anomalies de notre époque. »

Note : [Marcel Petiot, dit le docteur Petiot (1897-1946). Médecin et homme politique français, condamné pour meurtres lors de la Deuxième Guerre mondiale, après la découverte à son domicile parisien des restes de 27 personnes.]

Marcel Petiot (1897-1946)

Ce que le fait divers nous révèle de nous-mêmes

« A vrai dire, le fait divers n'a pas toujours une portée aussi générale. Au premier abord, il ne figure dans les journaux qu'en tant qu'anecdote, de l'ordre du conte ou du feuilleton. Il intéresse comme un roman ou un spectacle, ce qui ne veut pas dire toujours pour des raisons purement esthétiques...
Appartenant de nature à la littérature vécue, le fait divers éveille comme elle les sentiments intéressés de l'homme avide de se connaître. L'émotion artistique est en supplément, comme le couronnement de cette connaissance.

En fait, et l'on excusera ce truisme, on ne s'intéresse jamais à un fait divers que pour des motifs personnels. Tantôt il relate des situations auxquelles chacun peut s'imaginer mêlé. Il rappelle alors les terribles contingences auxquelles l'homme est sujet, la faiblesse et l'incertitude de sa position. Tantôt il livre aux curieux un personnage que l'actualité dénude. Chacun peut fouiller son passé, son présent, sa conscience, ses rêves même.
Le fait divers se place ainsi au cœur de l'un ou l'autre de deux problèmes essentiels : ce que l'homme est dans le monde, et ce qu'il est en lui-même. Rien ne saurait être plus intéressant. »

Fait divers psychologique ou fait divers de situation
      Autant d’outils d’exploration de notre intérieur

« On aperçoit déjà deux genres de faits divers : les faits divers psychologiques et les faits divers de situation.
Il y a de même un théâtre de caractère et un théâtre de situation. Le génie de notre époque, qui souffle en faveur de ce dernier, met également en valeur l'espèce correspondante de faits divers, à la fois parce qu'elle répond mieux aux problèmes de l'heure et bénéficie ainsi d'une attention particulière du public,
et parce que ses protagonistes sont "embarqués" dans le siècle et en portent la marque dans leur chair. Je crois que, même en U.R.S.S., on ne voit plus comparaître en cour d'assises de personnages dostoïevskiens. Il est très fréquent, au contraire, de sentir, aux réponses d'un accusé, que l'on a affaire à l’homo absurdus, habitant sans vie d'un siècle dont le prophète est Kafka. Et cet homme ne peut être mêlé qu'à un fait divers de situation.
Il ne s'agit pas de prétendre que nous vivons un temps plus que d'autres fertile en hasards, ou, pour parler comme Cournot, en rencontres de séries indépendantes, dont l'interférence produit un effet de bizarrerie. Simplement, les conditions de vie sont actuellement telles qu'elles mettent très souvent les gens dans des situations impossibles.
Un des plus fameux hommes absurdes, le héros de
l'Étranger, se montre très touché par un fait divers de situation qui s'est passé en Europe Centrale : une hôtelière et sa fille tuent leurs clients pour les dépouiller ; le fils revient après une longue absence ; il ne se fait pas reconnaître ; elles l'assassinent, puis découvrent son identité et se tuent. On ne s'étonnera pas de voir ce récit fournir le sujet du Malentendu, une des pièces les plus caractéristiques du théâtre moderne.
Il est vrai que le fait divers de situation n'est pas toujours aussi lourd de sens. En outre la répétition endurcit. Les journaux continuent à relater les accidents d'auto, d'avion ou de chemin de fer qui, peut-être au début, rappelaient la soudaineté des coups du destin, mais ont pris aujourd'hui un intérêt en soi, sans signification, un peu suivant le processus de l'or qui, pour l'avare, cesse de valoir par ce qu'il permet d'acquérir et n'est plus recherché que pour lui-même. Les catastrophes aériennes entrent d'une seule pièce dans l'actualité, sans rien appeler d'autre que de vagues considérations sur la sécurité des différents moyens de transport. »

Le fait divers
     Entre le théâtre, le film et la littérature

« Il reste que le premier moteur de l'intérêt porté aux faits divers est l'identification plus ou moins consciente du lecteur avec leurs héros ou leurs victimes. C'est toujours l'homme qui en est l'acteur. C'est pourquoi les Parisiens lisent les descriptions des tremblements de terre, qu'ils n'ont pourtant pas à redouter. Mais, bien entendu, une oscillation des sismographes de Lyon leur cause plus d'émotion qu'un séisme tuant plusieurs milliers de Japonais.

Pour en terminer avec le fait divers de situation, notons que, comme le théâtre du même nom, il possède un humble frère qui ne prétend pas signifier, mais seulement amuser. Les situations singulières, les caprices du hasard qu'il relate, n'ont d'autre pouvoir que de faire rire, comme un gag dans un film. Une femme irascible veut tuer son mari avec un fusil de chasse ; elle épaule, tire, elle rate, mais le recul la fait tomber à la renverse et elle se fracture le crâne. C'est du même ordre que l’ Arroseur arrosé.

Tout autre est le fait divers qui met en scène des personnages responsables avec leurs mobiles secrets et leurs âmes troubles. Qu'il divertisse ou qu'il pose les problèmes angoissants de la condition humaine, le fait divers de situation n'apportait pas de réponse aux questions qu'il posait. Il donnait seulement des exemples du désordre du monde. Il intéressait surtout la partie de nous-mêmes qui est braquée vers l'absurde. Au contraire, le fait divers psychologique satisfait notre besoin inquiet de connaître les autres. C'est un merveilleux moyen d'indiscrétion, quotidien, à portée de la main, sincère et ne présentant que les cas les plus intéressants. Pour celui qui est effrayé par ce qu'il entrevoit en lui-même, le fait divers est un témoignage rassurant.

Il faudrait ici tracer la ligne qui sépare le fait divers de la littérature, car, la plupart du temps, c'est également une confession et une révélation de l'homme que le lecteur cherche dans les romans. C'est difficile parce que le comportement de l'amateur de faits divers est double lui aussi. Si l'amateur de littérature ne se contente pas de l'art et cherche une réponse à ses problèmes humains, l'amateur de faits divers ne se cantonne pas dans une attitude de curiosité humaine, et finit par éprouver une émotion esthétique. Les personnages dont il lit les aventures dans les colonnes des journaux se parent à ses yeux des qualités magiques des héros de romans. Coulés dans le plomb des imprimeurs, ils n'existent pas et ils existent, ils sont à la fois irréels et vrais...

Une fille de salle d'un petit restaurant de province me racontait qu'elle avait eu une syncope dans la rue. On l'avait relevée et on avait trouvé dans son sac un tube de gardénal. On en avait conclu hâtivement qu'elle avait voulu se tuer et on l'avait imprimé dans le journal local. C'était comme si, en assistant à un film, elle avait eu la stupéfaction de se reconnaître à la place de l'héroïne. Elle était statufiée.

A la fois parce que nous retrouvons en eux nos instincts profonds, mais qu'ils ne sont plus des humains comme les autres, les personnages de faits divers deviennent des sortes de héros sur lesquels nous projetons les mythes que nous portons en nous. »

                                                                                                         Roger Grenier, Le rôle d’accusé, Revue Les Temps Modernes, 1947.

« Un chien mord un homme, c’est un fait divers.
Un homme mord un chien, c’est un scoop. »  
  (Lord Beaverbrook)

 

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20 mai 2019 1 20 /05 /mai /2019 12:14

LA PATIENCE, UNE QUALITÉ OU UN DÉFAUT ?

Denise Brihat distingue deux types de prudence

[Denise Brihat : Docteur en philosophie. Fondatrice (en 1978) et responsable du Centre de Lyon de l'Association internationale Jacques et Raïssa Maritain]

Un concept aux connotations multiples

« L'homme prudent est tour à tour loué ou blâmé. Dans le contexte de la culture hellénique, le terme de prudence, comme celui de vertu, suggérait une perfection, une mesure, une harmonie empreinte de noblesse. De nos jours, cette notion a subi une profonde dévaluation. N'évoque-t-elle pas une conduite précautionneuse, la peur de s'engager, de prendre parti ? On y voit un synonyme d'égoïsme ou d'avarice. Elle signifie volontiers une économie de forces, à laquelle le vieillard est acculé. C'est ainsi que Voltaire se plaint d'avoir été obligé, à quatre-vingt-un ans, de sacrifier à cette "sotte vertu". Le prudent, est-ce celui qui calcule, qui "met de côté" et cherche un refuge, l'homme qui hésite et ne veut pas se compromettre ; ou bien encore l'individu rusé sachant toujours se tirer d'affaire, quitte à trouver son avantage au détriment des autres ?
Cependant, qui fait mal ses comptes est un écervelé. L'impulsif est incapable de prévoir les conséquences de ses actes. L'irréfléchi fait hausser les épaules : il n'agit pas d'une manière efficace. Et il est précieux de trouver un homme de bon conseil quand on manque soi-même d'expérience. La prudence, ne serait-ce pas plutôt le contraire de l'étourderie, la capacité d'agir sans hâte, avec jugement et réflexion ? Son ambiguïté ne peut venir que de confusions. Il nous faut écouter la leçon de Socrate : "Ne pas employer le mot juste, disait-il, c'est faire du tort à l'âme". C'est ce qu'enseignait également Confucius, qui répondit à l'empereur de Chine, venu lui demander comment restaurer l'empire : "Commencez donc par réformer le langage". »

De l’Antiquité à nos jours, l’ambivalence d’un mot

« Sans doute il s'agit de ne pas confondre, dans ce qui n'est pas le vrai visage de la prudence, d'une part ce qui lui est directement opposé, et d'autre part ce qui représente des contrefaçons. Lorsque, dans le commerce, un produit se recommande par son utilité, immédiatement surgissent une foule d'ingrédients similaires, mais à l'usage on s'aperçoit que la qualité a disparu : on ne tient qu'un succédané. De même, il n'est rien qui ressemble tant aux vertus que certains vices. Le téméraire se fait passer pour un courageux. L'insensible mime le tempérant. Le faux dévot singe les actes de la vraie dévotion, mais le cœur n'y est pas ; son but n'est plus d'adorer Dieu, mais de servir son propre intérêt. Il semble bien, dès lors, qu'il faille tracer une ligne de démarcation entre, d'un côté, ce qui est contraire à la prudence et que nous désignerons par le terme d'imprudence et, de l'autre, ses déviations qui constituent des fausses prudences.
La précipitation est le premier défaut envers lequel Descartes nous mettait en garde. Un homme sensé ne peut accepter d'être le jouet de ses pulsions. Certes, se laisser attirer par la plus attrayante image est le fait d'un enfant ou d'un automate, non d'un homme. Il importe de prendre le temps de la réflexion et de savoir ce que l'on fait. La précipitation implique, en effet, une hâte désordonnée. Au sens propre, ce terme désigne une chute, plus exactement un mouvement rapide où l'on brûle les étapes. Il évoque une action déclenchée par l'élan d'une volonté aveugle qui n'a pas pris le temps de voir clair, et s'oppose au caractère progressif de la réflexion.
Le deuxième défaut, "l'inconsidération", ne consiste pas, comme dans le cas précédent, à décider avant d'avoir éclairé ses actes, mais à juger superficiellement, sans voir si les motifs font le poids. L'appréciation a manqué de sérieux, de gravité. L'inattention nous rend si légers ! C'est souvent qu'on en vient à regretter des engagements pris prématurément. Un mariage bâclé engendre un divorce au bout de quelques mois. Une carrière de qualité entreprise inconsidérément ruine l'équilibre psychique d'un homme qui était fait pour un travail subalterne. Des paroles dites "à la légère" sèment la discorde entre époux ou l'incompréhension entre parents et enfants : il aurait fallu choisir ses mots ou parler sur un autre ton. Et que dire des coups de tête sur lesquels certains se décident sans savoir où les mènera leur caprice?... »

La prudence nourrit la réflexion

« Agir sans réflexion est une attitude infantile, mais rester dans l'hésitation au lieu de se décider, n'est-ce pas aussi être imprudent ? Dans les deux défauts précédents, le jugement n'avait pas le temps de mûrir ; il en est un autre où l'on ne cueille point de fruit : c'est la négligence. Nous sommes, dans ce cas, "non élisant", comme l'indique l'étymologie de ce terme : non eligens. En effet, notre choix tranche, découpe une action à l'exclusion de toute autre. Être négligent, c'est rester en friche, laisser sans exécution un projet ou le faire traîner indéfiniment. Cette imprudence supprime l'effort et ne récolte rien. La décision seule est efficace, elle transforme nos buts en œuvres. Et l'on en vient à souhaiter, quand l'action ne peut attendre, une rapidité d'initiative, une vivacité de l'esprit telle qu'un éclair d'intelligence tienne lieu de réflexion. C'est ainsi que certains ont pu sauver un enfant d'une situation tragique, saisissant en un clin d'œil le geste qui convenait. S'il est souvent imprudent d'aller trop vite, il l'est quelquefois d'agir trop lentement. La vraie prudence est de trouver toujours la juste mesure et de risquer à bon escient.
L'action mobilise toutes nos ressources et exige que nous nous orientions uniquement vers le but poursuivi, sans nous disperser. Or, il en est qui changent de propos selon leurs caprices ou les influences qu'ils subissent ; ils abandonnent un projet à peine ébauché pour en élaborer un autre, qui aura le même sort : c'est faire preuve d'inconstance. Il ne réalise rien, celui qui gaspille ainsi ses forces de tous côtés. Ce manque de prudence se rattache à la précipitation et à "l'inconsidération". En effet, c'est l'affectivité qui est toujours fautive. Même obscure ou inconsciente, son influence s'exerce en agissant à notre insu. Chez l'inconstant, c'est le désir du moment présent qui l'emporte. Il se donne à corps perdu à une activité, mais pour un temps : pour un mois, pour quelques jours. Le sentiment est essentiellement variable ; s'il vient à changer, il pèse sur le jugement : voilà le projet initial basculé.
Dans chaque cas envisagé précédemment il y a un manque de réflexion ou d'esprit de décision. Au lieu que ces qualités fassent défaut — ce qui est le propre de l'imprudence — il arrive que leur exercice soit faussé. Il faut sans doute plus de subtilité pour dépister les traces des contrefaçons. Un maquillage bien réussi peut donner le change. Essayons cependant de découvrir les fausses prudences.
D'abord, supposons qu'un homme sache ne pas se précipiter ni agir d'une manière inconsidérée, qu'il ne soit ni inconstant ni négligent : nous le voyons juger, délibérer, peser ses gestes sans pour autant retarder ses actes, mais toute cette habileté est mise au service de l'injustice. Allons-nous louer son comportement ? Est-ce "prudence" que de faire triompher le vice et de tracer la voie aux oppresseurs ? Si les démarches de la raison et de la volonté sont utilisées pour une fin mauvaise, il est certain que l'on passe à côté de la vraie prudence. C'est ainsi que le Moyen Age, s'inspirant de l'Écriture, dénonçait une "prudence de la chair", dénommée aussi "prudence mondaine". En définitive, quel que soit le nom qu'on lui donne, il est évident que nous avons affaire à une fausse prudence. Il en est ainsi chaque fois que son but n'est plus accordé au bien de la communauté humaine et ne vise pas la promotion de la personne. Être prudent pour faire prévaloir son ambition, pour gagner quelque avantage ou encore pour multiplier indûment ses plaisirs, c'est être un faux prudent. Mettre l'amour de soi au centre de ses préoccupations au lieu de l'amour de la justice est un mal fort répandu : rien n'est plus mêlé que la vraie et la fausse prudence. »

L’affection est-elle l’ennemie de la prudence ?

« Mais il y a une autre perversion plus subtile, celle qui emploie des moyens frauduleux pour obtenir une fin louable. Lorsque, par exemple, des citoyens, soi-disant pour servir leur patrie, n'hésitent pas à utiliser la révolte et le meurtre, à mettre le pays à feu et à sang, ils font preuve d'astuce, non de prudence. L'astucieux est habile mais immoral, car ses voies sont mauvaises, mensongères, injustes et violentes, ses machinations louches, ses intrigues trompeuses. Tout dans son comportement sonne faux. Son visage est masqué. La fin ne justifie pas les moyens : il y a des actes toujours indignes de la personne humaine comme le sont l'assassinat, la délation, les vrais mensonges. Le terme d'astuce désigne la préméditation de tels moyens, tandis qu'on nomme ruse leur mise à exécution. L'homme rusé réfléchit, dirige ses actes et ne se laisse pas prendre au piège ; il arrive à ses fins, mais est peu soucieux de la qualité des moyens mis en œuvre pour réussir ses entreprises. Il simule et induit en erreur au besoin. Il joue le jeu de la prudence, mais déguisé.
C'est donc doublement que la prudence peut se fausser : ou bien parce que la pensée se met au service d'une fin mauvaise, ou bien parce qu'elle utilise des voies tortueuses. Dans les deux cas, il y a égoïsme. Ce sont ses propres fins que le faux prudent veut faire prévaloir envers et contre tout ou, plus exactement, c'est lui-même qu'il érige en fin. Aussi il est conduit à une attitude de repli, d'attention à ses propres intérêts. L'avarice l'inspire. Elle engendre la méfiance, la crainte, le soupçon, des calculs mesquins. Son domaine d'élection est celui des biens matériels. Il s'agit de mettre tout en œuvre pour se les procurer, les conserver, les mettre à l'abri. La fausse prudence, c'est encore l'avarice de soi-même. Éviter de s'engager, de se compromettre, de s'exposer alors qu'une cause en vaut la peine, c'est toujours refuser de se donner. S'entourer d'une barrière de protection quand il faudrait mener le combat pour la justice, c'est se garder mais "imprudemment", car c'est tourner le dos à la réalisation de soi-même... Si bien que, tout compte fait, il ne nous reste que deux types de prudence : celle de l'égoïste axé sur lui-même, et puis l'authentique, la vraie prudence qui caractérise l'homme moral, la prudence qui est vertu. »
                                                                                                                           Denise Brihat, Prudence et risque, PUF, 1966.

« Le bon sens est inséparable de la prudence ». (Aristote)

 

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12 mai 2019 7 12 /05 /mai /2019 08:24

L’AMBIGUÏTÉ DE LA VIOLENCE DÉCRYPTÉE PAR GEORGES GUSDORF

La violence en société a-t-elle un sens ?
Peut-on, doit-on distinguer une bonne et une mauvaise violence ?

Georges Gusdorf (1912-2000)

Philosophe et épistémologue français né de parents allemands, Georges Gusdorf fut élève de l’ENA puis étudiant à la Sorbonne.
Mobilisé pendant la Deuxième Guerre mondiale, fait prisonnier par les Allemands en 1940, il reprend ses études après la guerre.
Agrégé et professeur de philosophie, il enseigne notamment à l’université de Strasbourg.
Auteur d’une œuvre littéraire prodigieuse, il développe entre autres thèmes celui du déterminisme et de la liberté.
L’homme est conditionné d’une part, par son corps et d’autre part, par le milieu dans lequel il évolue. Mais ce déterminisme ne signifie aucunement conditionnement définitif.
S’il peut être conditionné, l’homme a également la possibilité de se libérer et  manifester sa liberté dans son action au quotidien et dans son œuvre.
Quelques publications majeures qui reflètent cet axe central de sa pensée philosophique :
-La découverte de soi
-les sciences humaines et la pensée occidentale
-Introduction aux sciences humaines
-Les révolutions de France et d’Amérique : de la violence à la sagesse.

Un philosophe inspiré par son vécu et par son expérience de l’humain

« "La paix, affirme Spinoza, n'est pas l'absence de la guerre, mais une vertu qui naît de la force de l'âme". La non-violence authentique est toujours démonstration de force ; elle affirme à sa manière une sorte de confiance désespérée dans la sagesse humaine : Gandhi finit par tomber, victime d'un de ses compatriotes fanatiques, et cette mort dément sa foi en la consacrant, puisqu'elle lui permet de réaliser jusqu'au bout l'idéal du juste souffrant. La violence a eu le dernier mot, ou du moins l'avant-dernier, car l'exemple reste, et l'enseignement de ce "fakir maigre et nu", méprisé par Churchill au temps des premières luttes pour la libération de l'Inde. La non-violence n'est pas une fin en soi, pas plus d'ailleurs que le respect de la vie : ce qui compte d'abord, c'est la justice et la vérité, dont la cause doit être maintenue avec la fermeté qui convient. Le juste, capable de donner sa vie pour ses amis, capable aussi de se faire violence, si besoin est, pour se ramener dans le droit chemin, ne respecte pas comme une idole des règles de non-intervention, et saura aussi bien traiter son prochain comme il se traite lui-même. »

Mahatma Gandhi (1869-1948)
Apôtre de la non-violence

Violence et non-violence ? Vertu ou vice ?

« Il faut éviter de se faire du respect une idée superstitieuse, comme s'il dessinait autour de chaque être une zone neutre, inviolable quoi qu'il arrive. Il y a sans doute un droit d'asile de chacun chez soi, comme aussi un droit d'hospitalité et d'accueil qui ne peut être forcé. Mais la rencontre d'autrui suppose le refus de ce no man's land dont chacun serait le prisonnier, et le souci même de servir des valeurs implique une attitude de sympathie active, et non d'indifférente neutralité. On connaît l'histoire espagnole de ce courtisan puni pour avoir, violant les interdits de l'étiquette, porté la main sur la reine qu'un cheval emballé entraînait à la catastrophe. Le prochain ne mérite pas plus de respect que la reine d'Espagne, et, devant quelqu'un qui se trompe ou se perd, la non-intervention est l'attitude même de l'infidélité. La non-violence est une utopie, parce que, dans la vie en commun, il faut toujours faire violence à quelqu'un, et chaque homme tue la femme qu'il aime, comme dit Oscar Wilde dans la Ballade de la prison de Reading. A bien plus forte raison ne faut-il pas respecter la bêtise, ni le mal établi, ni l'erreur ou la violence. Il est des situations extrêmes où, pour l'honneur du genre humain, l'insurrection devient un devoir sacré. »

La violence, devoir sacré ou auxiliaire pédagogique ?

« C'est ainsi que se dessine la possibilité d'une bonne violence à côté de la mauvaise. La pédagogie libertaire de l'éducation sans contrainte ni punition a partout abouti à un échec ; elle se faisait une idée utopique du respect de l'enfant, qui a besoin en fait d'être conduit, de sentir s'exercer sur soi une autorité réelle et qui, s'il n'a pas eu de père, risque fort de gâcher sa vie à la poursuite des paternités les plus abusives. La recherche de la violence pour la violence est à coup sûr néfaste, et les bourreaux d'enfants font horreur. Mais il est une violence pédagogique, non étrangère à l'amour, et qui d'ailleurs rapproche au lieu de séparer : l'enfant a besoin d'affection et de sécurité, ce qui n'exclut pas une gifle à l'occasion, ou une punition, pourvu que le rapport profond reste intact, qui le lie à ses parents. Et nous sommes tous là-dessus restés enfants ; dans nos relations avec autrui, la violence aussi est un langage, l'attestation d'une sincérité, la recherche d'un contact plus authentique par delà la rupture du statu quo, une sorte d'invocation désespérée de la personne à la personne. La hâte, l'impatience peuvent avoir une vertu à la fois libératrice et éducatrice, non pas en deçà du respect, mais au delà ; elles peuvent être les agents de réalisation de la générosité, et Jésus lui-même promettait aux violents le royaume de Dieu.
La mauvaise violence, lorsqu'elle prévaut, donne naissance au monde de la terreur. La violence bonne est celle qui se manifeste au cours des confrontations entre les personnes ; la terre des hommes n'est pas ce lieu de sécurité où des êtres spirituels noueraient entre eux ces dialogues des morts chers aux philosophes. L'être humain est donné à chacun comme une tâche, difficile et peut-être désespérée. La valeur ne se réalise pas sans lutte, et la violence apparaît nécessaire pour la manifestation de la valeur, par delà les déchirements de soi à soi et de soi à l'autre. La vertu de force peut assumer la violence, tout en gardant au cœur même de la guerre l'espérance de la paix. Une relation nouvelle et comme un lien de sympathie peut naître de sincérités loyalement affrontées ; l'amitié peut résulter du combat où se recoupent les lignes de force, car la lutte aussi est un moyen de connaissance, et l'on voit s'affirmer après la guerre une solidarité dans l'estime mutuelle entre anciens combattants des camps opposés.
Ainsi se justifient, par delà leur paradoxe apparent, la réhabilitation de la violence par Georges Sorel, dans la perspective marxiste de la lutte des classes, ou encore l'éloge de la guerre chez Hegel et chez Proudhon. L'ambiguïté de la violence permet au pire de voisiner avec le meilleur : le seul moyen de donner à la paix toute sa valeur serait de sauvegarder en elle toutes les possibilités d'actualisation virile que délivre la guerre. Il y là une sorte de mystère, lié à la coexistence de la pire inhumanité avec la plus haute vertu. L'obstacle ici comme partout est une condition de la valeur, et la violence elle-même demeure indécise entre l'obstacle et la valeur. »

Violence sans objet, quel apport ?
La violence et le droit

« Réduite à elle-même, la violence est absurdité pure, désespoir de l'humain. Le légionnaire romain tue Archimède ; le milicien nazi massacre le savant juif, l'artiste non conformiste ; en pleine jeunesse du génie, Pouchkine et Evariste Galois sont tués en duel ; Pierre Curie se fait écraser par une charrette... La faiblesse de la violence nue est si évidente qu'elle-même doute de soi : chaque régime de force cherche par tous les moyens, au besoin en se mystifiant soi-même, à s'autoriser en se référant à une instance qui le dépasse. Le centurion, le sous-officier, le milicien admettront au besoin la métaphysique la plus naïve afin de pouvoir croire leur brutalité ordonnée à une autorité justifiée en valeur. Pascal l'avait bien vu : "La justice sans la force est impuissante, écrivait-il ; la force sans la justice est tyrannique. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force ; et pour cela faire que ce qui est juste soit fort, ou que ce qui est fort soit juste".
Il n'est pas vrai que la violence prime le droit. Toujours la raison du plus fort se veut encore et néanmoins raison ; elle cherche, par une sorte de recours en grâce, non pas à détruire le droit, mais à le fonder, substituant ainsi à un régime périmé un régime nouveau, et mieux ordonné selon une plus exacte justice. La guerre et la révolution, solutions de désespoir, impliquent une dialectique de la violence où l'emploi de la force affirme encore une recherche de la valeur. Celui qui engage la guerre, à tort ou à raison, se croit fort de son droit, et le vaincu, d'ordinaire, est convaincu d'avance, parce que conscient de sa faiblesse. De même la révolution ne triomphe dans la rue que parce qu'elle est déjà faite dans les esprits. Mirabeau refuse de céder devant Dreux-Brézé, qui prétend expulser les États Généraux ; Dreux-Brézé ( voir note) s'incline, obéissant à la même nécessité qui s'imposera, dans la nuit du 4 août, aux aristocrates, renonçant spontanément à leurs privilèges non par pression, mais par aspiration et enthousiasme. Comme l'a dit profondément Tocqueville "ce ne sont pas les serfs qui font des révolutions ; ce sont des hommes libres". Certes, la morale ne mène pas l'histoire, mais quand la force se heurte à la force, la violence à la violence, chacun a besoin d'être persuadé de la légitimité de sa cause. Les canons ne peuvent être que très provisoirement l'ultime raison des chefs d'État ; à plus longue échéance, un autre arbitrage finit toujours par prévaloir, et la justice, un moment éclipsée, trouvera toujours dans le cœur des hommes un dernier retranchement impossible à réduire. »

                                                                         Georges Gusdorf, La vertu de force, Presses Universitaires de France, 1957.

prise de la Bastille

(NOTE : Henri Évrard, marquis de Dreux-Brézé, gentilhomme français,: envoyé de Louis XVI, pour faire évacuer la salle où étaient réunis les députés du  tiers état, se heurte à l’hostilité de ces derniers qui refusent de quitter la salle comme le voulait le roi (23 juin 1789). Cet incident est à l’origine de la création de l’Assemblée nationale actuelle en France.)

Henri Évrard, marquis de Dreux-Brézé (1762-1829)

« La violence, sous quelque forme qu’elle se manifeste, est un échec. »  (J.P. Sartre)

 

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6 mai 2019 1 06 /05 /mai /2019 14:10

MONUMENTS EN PÉRIL
RELATION ENTRE MONUMENTS ANCIENS,

HISTOIRE, ART ET CIVILISATION

« Ce n'est qu'au XVIIIe siècle que l'Europe redécouvrit son passé médiéval et, suivant l'enseignement de certains esprits éclairés, apprit à sentir l'humain de chaque œuvre dans tous les temps et tous les peuples.
Pour répondre à cet intérêt, à la même époque naissait l'archéologie scientifique, grâce à laquelle l'étude des vestiges de l'antiquité remplaçait la "
chasse aux trésors" des siècles précédents. Les fouilles miraculeuses de Pompéi et d'Herculanum, plus tard l'investigation des villes mortes du désert ou de la jungle, rendirent possible la résurrection de civilisations disparues. Les ruines prenaient un sens. Mais les châteaux aussi, et les vieilles demeures, les églises et les couvents revêtirent une signification nouvelle. »

Les monuments anciens, témoins précieux de l’histoire des hommes, des sensibilités, des techniques…

« De nos jours, nous en sommes arrivés au point que c'est toute l'histoire de l'emprise de l'homme sur la terre qui nous touche et que nous voyons écrite dans les monuments, ceux qui constituent l'expression des aspirations morales ou des conceptions sociales de leur époque, comme les constructions et les ouvrages destinés à satisfaire les exigences de la vie pratique.
Murailles, ports, aqueducs et canaux, ponts, voies anciennes ; restes d'industries disparues, témoins de la domestication des éléments par l'ingéniosité humaine : tout vestige qui exprime la pensée, tout ce qui signifie le triomphe de l'ordre humain sur l'ordre naturel nous paraît digne d'intérêt.
Même dans le cas de bâtiments à buts strictement utilitaires, il est rare de ne pouvoir déceler une recherche de l'élégance dans la solution des problèmes pratiques, en même temps que l'application d'heureuses proportions, d'un rythme, d'un jeu de lignes et de couleurs, d'un rapport de volumes suggestifs et en accord avec un site et un ciel donnés, tendant à une expression durable, elle aussi, qui procura satisfaction et joie au constructeur comme au spectateur.
Ce plaisir demeure, même après de nombreuses générations, même dans l'ignorance de l'histoire ou en l'absence des connaissances nécessaires à l'intelligence du langage artistique de l'époque, car la beauté répond à une aspiration profonde de notre être. »

Les monuments anciens, témoins précieux du passé, mais témoins fragiles

« A l'instant même où nous commençons d'apprécier ces trésors longtemps méconnus, nous sommes en mesure de juger de leur fragilité et de la gravité des dangers qui les menacent. Sous l'action de l'humidité ou de la sécheresse, du soleil ou du gel, du sable ou du vent, de la végétation ou des parasites, de la pollution de l'atmosphère, tout édifice ancien se désagrège lentement s'il ne fait pas l'objet de soins constants.
Cependant, un monument entretenu court aussi le risque de l'être trop ou de subir des rénovations exagérées. Un fâcheux voisinage, enfin, le dégrade. Car, pour ces créations de l'homme, l'homme lui-même est encore le plus redoutable adversaire. Et celui-ci n'est pas toujours le guerrier, le vengeur, le vandale, l'iconoclaste : l'urbaniste, l'ingénieur, le constructeur sont tout autant à craindre lorsque, préoccupés d'efficience pratique, ils limitent leur ambition à réaliser des programmes immédiats et s'avèrent incapables de juguler le dynamisme excessif de leur époque : pressions économiques, "
explosion" des cités, accroissement chaotique des banlieues et des zones industrielles.
L'exemple que fournissent les grands travaux hydro-électriques, les barrages qui submergent tous les biens culturels, les visibles comme les invisibles encore enfouis dans le sol, résume dans toute son ampleur et toute sa gravité le problème du choix entre l'héritage du passé et les exigences de l'avenir. Entre ces deux impératifs, un compromis doit à tout prix être trouvé : la sauvegarde des monuments de Nubie à la suite d'un appel lancé par l'Unesco nous prouve qu'il est réalisable, même à l'échelle internationale.
Et c'est bien à l'échelle internationale que la protection des monuments contre des dangers de destruction massive doit être recherchée. Rappelons qu'aucune construction ancienne ne résiste aux armes modernes, que par conséquent toute conservation des monuments est conditionnée par le maintien de la paix dans le monde, donc de la collaboration internationale. »

Les grands monuments, anciens ou nouveaux, comme les œuvres d’art :
facteur de rapprochement, créateurs de solidarité nationale et internationale

« Des vastes opérations de restauration effectuées au cours des dernières décennies, nous pouvons tirer une autre conclusion : c'est que nous disposons aujourd'hui des moyens techniques nécessaires pour protéger, réparer, restaurer, même à la rigueur déplacer n'importe quel monument.
En outre, il existe, dans bon nombre de pays, des législations et des organismes spécialement créés pour la protection des monuments — les unes pour réglementer les travaux, les autres pour veiller à leur exécution. En principe, nous serions donc équipés pour une conservation intégrale des richesses archéologiques et monumentales de la terre.
Mais une conservation intégrale ne risquerait-elle pas de transformer de vastes parties du monde en un musée géant ? Les défenseurs des monuments, même les plus convaincus, écartent eux-mêmes cette hypothèse et admettent que le progrès technique, irréversible, peut entraîner, dans certains cas, la condamnation d'édifices liés à des modes d'existence ou d'exploitation périmés. L'expérience prouve du reste qu'invariablement le dynamisme de l'époque l'emporte. C'est au prix d'immenses efforts qu'il est possible de sauvegarder un nombre limité de monuments.
Même pour atteindre ce résultat, il ne suffit pas d'une législation bien conçue et consciencieusement appliquée, d'une bonne organisation technique et de moyens financiers appropriés : la préservation des monuments n'est vraiment garantie qu'à partir du jour où les simples citoyens, prenant conscience eux aussi de la valeur de tel ou tel monument et de la perte irréparable que constituerait sa disparition, unissent leurs efforts pour faciliter cette préservation.
Il importe donc de les faire connaître et comprendre, de leur susciter des amis proches et lointains. Nous le pouvons aujourd'hui grâce à nos prodigieux moyens de diffusion. Telle silhouette d'un temple perdu au fond du désert devient vite familière aux lecteurs de revues, au public du cinéma, aux enfants des écoles.
Les touristes, une fois informés, ne demandent qu'à visiter les monuments qui jalonnent leurs itinéraires et qui servent de buts à des randonnées jusque dans les sites les plus reculés. Désormais, si le sort d'un monument est entre les mains de quelque service administratif que l'on peut espérer vigilant, l'intérêt qu'il suscite dépasse largement la sphère des spécialistes, son image est présente à l'esprit d'une masse d'hommes qui lui vouent leur sympathie, même s'ils appartiennent à d'autres pays et habitent parfois des régions très éloignées. »

En tout monument ancien, comme en toute œuvre d’art, il faut chercher la signification humaine

« Il est donc permis d'espérer qu'un tel état d'esprit, devenu universel, développera dans toutes les nations la conscience d'une responsabilité collective envers les monuments...

Nous nous apercevons, en fin de compte, que la question de la vie ou de la mort des monuments nous concerne de très près et se pose à nous en des termes nets : ou bien nous endossons envers l'avenir la responsabilité de laisser disparaître peu à peu une part des œuvres des civilisations passées, et nous renonçons de ce fait à permettre aux générations futures de connaître les œuvres que le passé nous a léguées et que nous sacrifions à l'attrait de l'aventure grisante et orgueilleuse d'un monde neuf qui serait la négation de l'ancien ; ou bien nous acceptons le principe de la solidarité humaine dans le temps comme dans l'espace et, avec un nouvel état d'esprit, nous nous insérons dans la chaîne de l'histoire, sachant que nous vivons dans un temps qui n'a plus besoin de détruire pour créer, qui est parfaitement capable d'inclure dans ses plans d'avenir les plus audacieux le respect de l'héritage du passé, et qui possède les moyens de faciliter à l'homme d'aujourd'hui le dialogue avec les grandes œuvres de ses ancêtres.

En adoptant la seconde attitude, nous augmenterions sans doute les chances de voir s'édifier une civilisation plus humaine, où la connaissance du passé trouverait sa place à côté des découvertes par lesquelles l'humanité s'efforce d'améliorer son avenir. »
                                                                                                                                              Le Courrier de l’UNESCO, janvier 1965

 

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28 avril 2019 7 28 /04 /avril /2019 07:45

LES ÉNIGMES

De retour à Babylone, Zadig participe à une sorte de concours où il s'agit de résoudre des énigmes particulièrement difficiles.

« ...je demande la permission de me présenter pour expliquer les énigmes. » On alla aux voix : sa réputation de probité était encore si fortement imprimée dans les esprits qu'on ne balança pas à l'admettre.

Le grand mage proposa d'abord cette question :

« Quelle est de toutes les choses du monde la plus longue et la plus courte, la plus prompte et la plus lente, la plus divisible et la plus étendue, la plus négligée et la plus regrettée, sans qui rien ne peut se faire, qui dévore tout ce qui est petit, et qui vivifie tout ce qui est grand ? »

 

C'était à Itobad à parler. Il répondit qu'un homme comme lui n'entendait rien aux énigmes, et qu'il suffisait d'avoir vaincu à grands coups de lance. Les uns dirent que le mot de l'énigme était la fortune, d'autres la terre, d'autres la lumière. Zadig, dit que c'était le temps. « Rien n'est plus long, ajouta-t-il, puisqu'il manque à tous nos projets ; rien n'est plus lent pour qui attend ; rien de plus rapide pour qui jouit ; il s'étend jusqu'à l'infini en grand ; il se divise jusque dans l'infini en petit ; tous les hommes le négligent, tous en regrettent la perte ; rien ne se fait sans lui ; il fait oublier tout ce qui est indigne de la postérité, et il immortalise les grandes choses. » L'assemblée convint que Zadig avait raison.

 

On demanda ensuite : « Quelle est la chose qu'on reçoit sans remercier, dont on jouit sans savoir comment, qu'on donne aux autres quand on ne sait où l'on en est, et qu'on perd sans s'en apercevoir ? »

Chacun dit son mot. Zadig devina seul que c'était la vie. Il expliqua toutes les autres énigmes avec la même facilité. Itobad disait toujours que rien n'était plus aisé, et qu'il en serait venu à bout tout aussi facilement s'il avait voulu s'en donner la peine. On proposa des questions sur la justice, sur le souverain bien, sur l'art de régner. Les réponses de Zadig furent jugées les plus solides. « C'est bien dommage, disait-on, qu'un si bon esprit soit un si mauvais cavalier »... 

                                                                                                                              Voltaire, Zadig.

                                                                                   

          Voltaire (1694-1778)          

                                                                                                                                                                                                                                                

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21 avril 2019 7 21 /04 /avril /2019 08:01

LA SAGESSE DES ENFANTS (2)

Énigmes

Écoutons-cette histoire pleine  de sagesse !

 

Un oncle fit une fois, accompagné de son jeune neveu, la traversée du désert. Ce voyage dura plusieurs jours. La marche fut longue, pénible et monotone. L'oncle était peu causeur.

A plusieurs reprises, l'enfant hasarda une question :

 

« Veux-tu me porter ou que ce soit moi qui te porte ? »

 

L'oncle ne sut que répondre, car il n'avait pas envie de se charger de l'enfant et n'imaginait guère comment l'enfant aurait pu se charger de lui.

Comme on arrivait à l'oasis terme du voyage, l'enfant, voyant un champ de blé demanda :

 

« Le propriétaire de ce champ a-t-il déjà mangé son blé ? »

 

Question qui resta encore sans réponse car l'oncle ne la comprit pas. Au passage devant le cimetière, l'enfant reprit :

 

«  Le locataire de ce tombeau est-il mort ou vivant ? »

 

 Demande qui se perdit comme les précédentes dans le silence de l'oncle inquiet.

Enfin, on pénétra dans le village. Les deux voyageurs entrèrent dans la première maison où ils furent accueillis en hôtes d'Allah. Le maître de céans les honora en invitant les voisins. Au cours du repas de bienvenue, l'oncle fut amené à dire à ses hôtes combien l'avaient embarrassé les questions énigmatiques de son jeune neveu. Celui-ci fut donc prié par l'assemblée de s'expliquer:

 

« J’ai essayé de rompre la monotonie du voyage en posant ma première question (veux-tu me porter ou que je te porte ?) car, si l'un de nous deux avait conté une histoire ou chanté une chanson, il aurait coupé la fatigue et la longueur de la route et ainsi porté l'autre.

Ma deuxième question (le propriétaire a-t-il déjà mangé son blé ?) visait simplement à savoir si le propriétaire avait déjà pu faire des dettes sur son champ.

Ma troisième question (le locataire de ce tombeau est-il mort ou vivant ?) désirait poser le problème du mort et de ses bonnes actions. S'il en a fait, il est toujours vivant dans le cœur de ses fils, des gens auxquels il a fait du bien, des annales de son pays qui conservent son souvenir ».

 

Les anciens admirèrent la sagesse précoce du jeune neveu.

                                                               Jeanne Scelles-Millie, Contes Sahariens du Souf, Ed. G.P. Maisonneuve et Larose.

Jeanne Scelles-Millie (1900-1993)

  Jeanne Scelles-Millie, (1900-1993) née à Alger et morte à Saint-Maurice (Val-de-Marne) est l'une des premières femmes ingénieures architectes de France. Elle initia le dialogue entre musulmans et chrétiens, et sauvegarda une part importante du patrimoine culturel d’Afrique du Nord en recueillant plusieurs centaines de contes et traditions. Auteure d’essais et livres de contes et traditions.

 

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