LE PANAFRICANISME, UN BEAU RÊVE INACCESSIBLE ?
Des mots aux actes, un échec retentissant
Rappel d’un concept et d’un mouvement politique né hors d’Afrique, pour l’Afrique.
Le Panafricanisme fut, à l’origine, un mouvement initié par des Noirs américains (du Nord et du Sud). L’Antillais Georges Padmore y joua un rôle de premier plan.
Les principaux inspirateurs du mouvement, qui laissèrent leur nom à la postérité sont : W. E. Dubois, Marcus Garvey.
Marcus Garvey (1887-1940)
Marcus Garvey reste dans les mémoires, par son inlassable activité pour le respect et la dignité des Noirs. Ce natif de Jamaïque (alors colonie britannique), fit connaître le mouvement à l’échelle internationale, en militant sans répit pour la création des « États-Unis d’Afrique ». Cependant son objectif premier fut l’union de tous les Noirs du monde et le retour de tous en Afrique.
Ces activités multiples firent de lui, l’homme le plus recherché par le FBI. Il fut notamment expulsé des États-Unis vers la Jamaïque.
Malgré tout il continua ses activités et à faire parler de lui, de son île natale.
George Padmore (1903-1959)
L’inlassable militant africaniste
L’Afrique chevillée au corps
Natif de la Trinité, George Padmore (né Malcolm Ivan Meredith Nurse (1903-1959)) fut sans aucun doute le plus actif, le plus inspiré des premiers militants panafricanistes. Journaliste, il se rendit aux États-Unis pour y poursuivre des études universitaires. Après l’obtention d’un diplôme de Droit il regagna son pays.
Son séjour aux États-Unis semble avoir fait de lui un « antiraciste convaincu » et qui agit en ce sens.
Afin de couvrir ses activités militantes, mais aussi pour éviter que sa famille soit inquiétée par la police américaine, il changea de nom et adopta celui de George Padmore.
Il adhéra également au Parti communiste des États-Unis. L’une des principales activités de la police américaine était aussi la traque de ces militants communistes.
Padmore s’affilia en même temps à plusieurs associations antiségrégationnistes.
En 1934, il rompit avec le communisme et l’Union soviétique, liée, selon lui, à des puissances coloniales, notamment la France et la Grande-Bretagne, mais adhéra au Parti socialiste.
Cap sur l’Afrique
Padmore se rendit en Afrique, qu’il considère comme le terrain idéal de lutte contre l’impérialisme et le colonialisme où il y a tant à faire : indépendance des colonies et unification de l’Afrique notamment. En un mot, la réalisation du panafricanisme.
Au congrès panafricaniste de Manchester en 1945, il joua le 1er rôle. Il y rencontra d’anciens amis qu’il avait connus lors de ses études aux États-Unis : Jomo Kenyatta (futur président du Kenya) et surtout Kwamé Nkrumah (futur président du Ghana).
En 1957, lors de l’indépendance du Ghana, K. Nkrumah invite Padmore aux cérémonies de l’indépendance et le nomme conseiller aux Affaires africaines. Padmore y déploie une énergie sans relâche, participe dès lors, à toutes les conférences et congrès organisés par les africanistes. Il prend des initiatives sur le plan social, culturel… conjointement à la lutte pour l’indépendance de toutes les colonies africaines.
Padmore joue un rôle éminent dans l’organisation et le déroulement de la « Conférence des États indépendants d’Afrique», invité par le président Nkrumah dans la perspective de la libération de toutes les colonies d’Afrique au début des années 1960. (En effet, depuis 1955, la loi Gaston Defferre invite les colonies qui le souhaitent à prendre leur indépendance.)
De plus Padmore dénonce les religions, de même que les rivalités ethniques, selon lui « facteurs de division et de régression ».
Il meurt subitement en 1959, au moment même où il travaillait à un projet consistant à instituer une seule et même langue pour tous les peuples d’Afrique, ce qui selon lui, favoriserait l’unité du continent ainsi que son développement. Il eut droit à des obsèques nationales.
Kwamé Nkrumah (1909-1972)
Un panafricain de la première heure
Kwamé Nkrumah s’engagea très tôt dans le mouvement panafricanisme au contact des initiateurs sur le sol d’Amérique.
Dès son arrivée au pouvoir, après l’indépendance, il fit preuve d’une conscience inébranlable dans la nécessité de réaliser d’urgence l’unité du continent afin de parvenir à son développement et à son rayonnement.
Son objectif, mieux son obsession, c’est la réalisation de l’unité de l’Afrique. C’est pour lui la condition de la solidarité constructive entre tous les peuples du continent, l’unique moyen de parvenir au développement et au progrès.
L’occasion s’offrait avec la tenue de la Conférence des États africains indépendants qui se réunit à Accra, la capitale du pays, du 15 au 22 avril 1958. Au cours de cette rencontre, le président ghanéen, exhorte ses homologues à s’engager dans l’aide aux peuples encore sous la domination coloniale, afin de hâter leur libération. Il les exhorte également à bannir toute forme de violence dans les méthodes de gouvernement.
Pour donner l’exemple il accorda une aide multiforme précieuse au président du nouvel État de Guinée qui venait d’obtenir son indépendance de la France.
Peu après, il fonda, avec ce pays, une union fédérale à deux, à laquelle se joignit le Mali, sous le nom de « Union Ghana, Guinée, Mali ».
Une politique qui effraie par son audace ?
Le 24 février 1966, le président Nkrumah est renversé, victime d’un coup d’État, alors qu’il se trouve en Chine où il effectue un voyage officiel à l’invitation du président chinois.
Il décline l’aide proposée par des États amis du bloc de l’Est et refuse toute résistance par la violence.
Le président Sékou Touré de Guinée l’invite à venir s’installer dans son pays et lui propose la « coprésidence » de la Guinée. Mais le désormais ancien président du Ghana décline poliment l’offre et se rend en exil en Roumanie où il décède le 24 avril 1972.
Selon certaine sources, sa chute aurait été décidée par les États-Unis qui ne l’aimaient pas, dit-on, par la C.I.A. Mais il était aussi honni par quelques chefs d’États africains qui l’accusaient de vouloir introduire le communisme en Afrique.
Quelques-unes de ses citations résument, seules, l’essentiel de sa vision de l’Afrique et de son futur :
« Il est clair que nous devons trouver une solution africaine à nos problèmes et qu’elle ne peut être trouvée que dans l’unité africaine. Divisés, nous sommes faibles, unie, l’Afrique pourra devenir pour de bon l’une des plus grandes forces de ce monde. »
Modibo Keita : le Soudan français devient République du Mali
Si l’idéal des initiateurs et premiers acteurs du Mouvement africaniste ne fut pas atteint en Afrique, plus ou moins qu’ailleurs au monde, ce continent connut au moins quelques personnalités (natives de cette terre d’Afrique ou venues d’ailleurs) qui montrèrent, dans leur action politique, qu’ils partageaient cet idéal au service de la justice sociale, cet humanisme sans frontière.
Modibo Keita (1915-1977)
Modibo Kéita, comme plusieurs hommes politiques africains d’avant l’indépendance des colonies françaises, tel le président de Côte d’Ivoire, Houphouët Boigny, le président du Sénégal, du Niger… , était citoyen français — au moins depuis la Constitution de 1946 — et, à ce titre occupa des postes politiques à l’Assemblée française, dans des cabinets ministériels…
Modibo Keita fut donc, comme eux, Français avant 1960 et, à partir de cette date, homme politique du Soudan français, son pays natal.
Son action d’homme public se caractérise pour l’essentiel par cet idéal constant : l’unité de l’Afrique. Il fut de ceux qui étaient particulièrement attachés à cet objectif. Il accéda de façon régulière aux hautes charges politiques après la première partie de sa carrière en France.
Deux qualificatifs semblent le désigner : « Africaniste » et « Tiers-mondiste ». (Cela rappelle la réconciliation entre le Maroc et l’Algérie engagés dans une guerre fratricide, appelée alors la « guerre des sables ».)
Membre fondateur parmi les plus actifs du premier parti appelé à devenir une émanation de l’assemblée de l’Afrique : le « Rassemblement Démocratique Africain » (RDA), fondé à Bamako en 1946.
Il milita activement pour la fondation de ce qu’il considérait comme un embryon et un pilier de l’unité du continent. La « Fédération du Mali » rassemblant au début 5 États, mais n’en fut que 2 : le Soudan français et le Sénégal. Puis des dissensions entre eux mirent prématurément fin à cette expérience de « fusion continentale ».
Modibo Keita trouva sans doute une consolation dans la proposition que lui fut alors son homologue ghanéen, Nkrumah, la formation d’une union, (qu’il croyait être le début de cette « unité africaine », tant rêvée). Avec le Ghana, la Guinée et le Mali, baptisée « Fédération Ghana, Guinée, Mali »
Une nouvelle république du Mali
Rentré à Bamako, la capitale, Keita prit l’initiative de changer le nom du pays, en abandonnant celui qui lui fut donné par le colonisateur au 19e siècle. Le Soudan français devient République du Mali. Il en prit la présidence de 1960 à 1968.
Ses réformes et son action politique, économique… ont-elles heurté des habitudes ? le point de rupture fut l’abandon du Franc CFA pour le Franc Malien, créé en 1967.
Modibo Keita fut renversé en novembre 1968 par une junte militaire, emprisonné dans le Nord du pays où il meurt en 1977.
À la disparition du Grand Homme de Bamako, les nouveaux maîtres du pays, ceux-là mêmes qui ont mis un terme prématurément à son pouvoir et à sa vie, annoncèrent sa mort de façon on ne peut plus sommaire : « Modibo Kéita, ancien instituteur à la retraite, est décédé des suites d’un œdème aigu des poumons. »