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5 juin 2011 7 05 /06 /juin /2011 08:18

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Du bâton au canon

 

Les croisades du Moyen Âge ont renforcé ce sentiment d’unité de « peuple européen » face aux autres, à ceux d’autres religions. Rien de tel en Afrique, qui ne connut aucun de ces liants et où le cloisonnement géographique, renforcé par le défaut de culture écrite, renforça la segmentation des peuples, la méfiance réciproque, le sentiment d’insécurité à l’égard d’autres groupes. Les peuples du Sahel constituent l’exception dans une moindre mesure par l’organisation d’États, royaumes et empires fédérateurs et puissants. Au moment même où l’imprimerie consolide les États naissants de l’Europe des XVe et XVIe siècles, les quelques Etats africains célèbres du Moyen Âge, périclitent, au contact des Européens, vaincus par la science et les techniques militaires filles de l’écriture et du calcul.

 

Par ailleurs, le lien entre les sciences et la guerre est bien établi depuis les temps les plus anciens. L’équation et la balistique vont de pair. Galilée, qui a ouvert l’ère de la science positive ainsi que celle de la recherche rationnelle, et dont les écrits sont devenus le ferment de l’Europe savante du XVIIIe siècle et des siècles postérieurs, a lancé l’idée que la langue mathématique « permet de lire le grand livre de la nature », et que cette même langue faisait la force des armées. Il mit en effet sa science mathématique et physique ainsi que ses travaux scientifiques en général un temps au service de l’arsenal de la marine de Venise qui lui doit tant de victoires.

 

Le feu grégeois, utilisé depuis l’Antiquité par les Grecs dans les guerres qui les ont opposés aux Perses, et qui fit la supériorité de leurs armées, fut utilisé par les Byzantins au VIIe siècle après J.C. Ces substances explosives à base de décompositions chimiques résultant de savants calculs, mélange complexe à base de salpêtre, de soufre, de bitume, de pétrole…, firent la force des armées à travers l’histoire tout comme les instruments d’optique permettant d’observer à longue distance.

Les Arabes ont su fabriquer la poudre noire dès le XIIIe siècle et l’ont utilisée comme explosif pour lancer à grande distance des projectiles d’armes portatives.

En Europe, au XIXe siècle, la poudre à canon du moine allemand Berthold Schwartz, améliorée par l’ingénieur français Paul Vielle, lequel mit au point la première poudre sans fumée qui remplaça la poudre noire dans les canons en les perfectionnant, fut à l’origine de la supériorité militaire européenne. C’est avec ces armes, produit de l’écriture, du calcul, de la science chimique, de la technique moderne, qu’au XIXe siècle précisément les Européens l’emportèrent aisément et définitivement sur les Africains, dan une confrontation inégale. Ce sont moins les armes qui ont vaincu les Africains que la science qui les a produites : le calcul, les équations, la physique, l’optique, la chimie… . L’Afrique noire, restée à l’écart des principales aventures de l’esprit scientifique et de la science moderne, de l’écriture et du papier, n’avait aucune chance de faire front. Il en résulte encore d’autres incidences, cette fois imputables aux Africains eux-mêmes et qui seront évoqués plus loin.

Si l’Arabe a fait du Noir un esclave pendant des siècles (la traite orientale), ce n’est pas parce qu’il était plus fort que lui physiquement. Cela vaut également pour l’Européen, qui a réduit l’Africain en esclavage et l’a ensuite colonisé au XIXe siècle. Si l’Arabe et l’Européen l’ont emporté hier, c’est parce que le Noir n’avait pas inventé ni utilisé les armes dont les autres se sont servi pour le vaincre et l’assujettir.  Le serait-il encore aujourd’hui face à ceux qui l’ont dominé hier ? Car dès que l’écriture, le papier, les sciences ont permis de produire des armes modernes, les guerres ne sont plus faites au corps à corps ni au bâton.


bouton_007.gif (Voir Tidiane Diakité, « Des facteurs socioculturels puissants » dans 50 ans après, l’Afrique, Arléa)

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28 mai 2011 6 28 /05 /mai /2011 08:17

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clipart_objets_050.gifLire et écrire ne suffisent pas (2)

 

Les grandes religions monothéistes dites « religions du Livre » : judaïsme, christianisme, islam, avec la Torah, la Bible et le Coran, auraient-elles conquis le monde sans le papier ? Sans l’écriture et le papier, elles ne seraient pas « grandes religions ». Les Sumériens, qui utilisèrent l’écriture dès la fin du IVe millénaire avant J.C. furent vaincus par les Sémites Akkadiens en Mésopotamie. Mais, malgré leur élimination politique, la culture littéraire et religieuse des Sumériens a survécu à travers toutes les cultures du Proche-Orient grâce à l’écriture. C’est la victoire du vaincu.

Si Babylone est immortelle, c’est sans doute moins par les réalisations de ses rois que grâce à son écriture et à sa bibliothèque qui lui permirent d’être la capitale mondiale de la culture de l’Antiquité. Écrire, c’est exister et prendre possession du temps. Pour l’islam et le Coran « écrire met en contact avec Dieu ».

La puissance de la Chine actuelle et future, sa capacité d’expansion économique ne peuvent être dissociées de son histoire. Si la Chine est aujourd’hui cette « usine mondiale », elle sera probablement aussi demain, le « laboratoire du monde ». Cela ne peut se comprendre si l’on ignore d’une part l’existence du « code chinois », daté de 2055 av J.C. (gravé sur du bronze) où se lisent l’histoire et l’organisation de la Chine antique d’une part, et, d’autre part, ce trait culturel chinois spécifique : le culte de l’écrit et de l’écriture.

 

livre 010Au-delà de la science et de la religion, le papier, c’est-à-dire l’écriture, est le principal artisan de la centralisation, donc des assises de l’État. Imagine-t-on un État sans papier, c’est-à-dire sans écriture ? Les États naissants de l’Europe du XVe siècle doivent leur consolidation à l’usage du papier comme moyen et outil primordial de l’administration. Or l’Afrique subsaharienne est demeurée en marge de l’aventure du papier et de son enrichissante évolution dans le temps ainsi que son cheminement dans l’espace, du IVe millénaire avant J. C. en Chine, au XVe siècle en Europe.

Une grande partie de l’héritage intellectuel de l’Antiquité occidentale aurait sans doute été perdue si le papier, au VIIIe siècle, n’était pas devenu le support privilégié d’une nouvelle foi, l’islam monothéiste et multiculturel, qui, pendant un demi-millénaire, a construit son identité en unifiant tous les savoirs de son empire, de l’Indus aux Pyrénées, héritage culturel au partage duquel l’Afrique noire ne participa pas non plus.

À Fez, au Maroc, dès 1184, 400 moulins à papier « fonctionnaient à plein ». Ce seul fait contient déjà en germe la victoire de 1591 du sultan du Maroc Moulay sur l’empereur de Gao l’Askia Ischac. Le chef de sa petite troupe de mercenaires vainquit facilement les 30 000 soldats de l’empereur sonrhaï ; les soldats marocains étaient armés de mousquets (arme moderne de l’époque) face aux soldats de l’empereur sonrhaï armés de bâtons.

Certes, l’Afrique contemporaine n’est plus celle du XVIe siècle. Certes il existe aujourd’hui des écoles partout en Afrique où l’on apprend à lire et à écrire. Mais, outre la trop grande proportion de population africaine analphabète, parmi ceux qui savent lire et écrire, l’écrit n’a pas véritablement pénétré les cultures sinon par effraction, de façon marginale, parce que tout simplement, le plus souvent, on a appris à lire et à écrire non pas dans sa langue de naissance et de culture originelle, mais en français, en anglais, en portugais, en espagnol… Un indice en est l’absence de livres dans la plupart des foyers même aisés.

 

livre 010Mais il est une autre aventure, aussi capitale, que manqua l’Afrique noire : celle des chiffres, les nombres, par extension, leurs manipulations, les opérations et les calculs. Une autre évolution multimillénaire qui vit l’esprit humain cheminer, en quête de clarté, de classification et de précision, de la manipulation de petits cailloux à celle des osselets, puis aux coquillages et aux bâtonnets, mais aussi des traits gravés, des encoches au creux des arbres, aux doigts… jusqu’aux chiffres, hindous, romains, arabes, au zéro… et à la machine à calculer, aujourd’hui, à l’ordinateur ! Ce long cheminement par étapes conduit l’esprit de « l’expression gestuelle et orale du nombre » à la numération symbolique abstraite des nombres, jusqu’aux opérations les plus complexes.

Quiconque []réfléchit à l’histoire des notations numériques ne peut qu’être frappé par son ingéniosité car le concept et la valeur de position attachée à chacun des chiffres dans la représentation des nombres offre à notre système actuel un avantage immense sur la majorité des différents systèmes utilisés par les peuples au cours des ans…[1]

Tout cela offre un avantage considérable dans biens d’autres domaines sur les peuples tenus à l’écart de cette fantastique aventure intellectuelle fondatrice de l’esprit scientifique.

 

livre 010La colonisation hier, l’esclavage avant-hier, la néocolonisation (sous ses formes multiples), bref, toutes ces phases de l’histoire où l’Afrique a été vaincue par l’Occident, dominée, humiliée, ne peuvent se justifier sans la conscience que l’Afrique a échappé à cet enfantement, fondateur au cours des siècles, source et moteur de transformation du monde. Mais le fait d’en être conscient devrait permettre aux Africains de concevoir et de forger les outils de leur propre refondation culturelle, enrichis de ceux venu d’ailleurs, à leur portée. L’absence d’écriture (plus précisément de culture de l’écrit) vaut à l’Afrique des millénaires de vie culturelle méconnue, les artistes africains anciens n’ayant pas signé leurs œuvres. Sur les centaines de milliers d’objets d’art africains introduits en Europe aux XIXe et XXe siècles, d’abord par des explorateurs, puis par les colonisateurs, on ne relève aucun nom ; aucun ne porte la signature de son auteur. Or, l’art : peinture, sculpture, musique… a besoin de ce ciment matérialisé par la signature qui sert d’intermédiaire entre l’artiste et son public. Chacun de ces artistes non identifié emporte avec lui un pan de l’histoire africaine ainsi méconnue.

La vie de l’artiste racontée confère une densité supplémentaire à l’œuvre, contribue à la connaissance ainsi qu’à son analyse. C’est l’écriture qui lui donne une identité, en même temps qu’elle lui garantit la durée.

Un tableau anonyme a moins de rayonnement qu’un tableau identifié, par conséquent inséré dans un contexte historique et culturel qui l’enrichit. C’est l’écriture qui donne à l’œuvre l’épaisseur qui transcende le temps. Elle lui garantit cette bruissante et luisante immobilité qui est immortalité, de même que ses racines et ses fleurs.

 

livre 010L’écriture, le papier, les chiffres, les calculs mis au service des armes ont assuré la suprématie militaire, des Arabes hier, des Occidentaux aujourd’hui. Le papier est indissociable de ce qu’il est convenu d’appeler « le miracle arabe ». Si les Arabes, petit peuple sorti du désert de sable aride et brûlant et parti de rien, ont su conquérir au VIIIe siècle, en l’espace de quelques décennies un empire aussi vaste et organisé, c’est grâce à l’usage de l’écriture qui leur permit de traduire les connaissances des peuples conquis ou rencontrés et de s’imposer par les armes avant de briller par les sciences et la culture du VIIIe au XIIIe siècle.

La foi confortée par l’écriture et le papier fut le tremplin pour les conquêtes, les victoires ainsi que le rayonnement scientifique et culturel du monde musulman.

L’écrit rassemble et fédère les esprits, il unit les générations et pose des passerelles entre elles, clarifie et synthétise les idées et les concepts mieux que la parole. Elle vainc l’oubli et permet la confrontation du passé et du présent dans une dynamique de progrès. L’écriture est sans conteste « la plus grande des révolutions », celle qui façonne la pensée, arme l’esprit pour la conquête de soi et de l’univers. C’est « l’outil de l’intelligence » créatrice par excellence. Sans l’écriture il n’est ni héros ni génie. Elle fut le ciment reliant les différentes composantes de l’empire musulman comme de l’empire carolingien en favorisant le sentiment d’unité, consolidant en cela l’impact religieux lui-même fédérateur. En Occident, les différents peuples furent rassemblés et fédérés au Moyen Age par Charlemagne sous la bannière du christianisme. L’écriture carolingienne, la « caroline » fut inventée sous cet empereur pour unifier l’empire, c’est-à-dire l’Occident chrétien. D’une manière générale la foi chrétienne fut indéniablement le ciment de l’unité européenne depuis le IVe siècle, grâce à la Bible, donc à l’écriture.


bouton 007(Voir Tidiane Diakité, « Des facteurs socioculturels puissants » dans 50 ans après, l’Afrique, Arléa)


[1] Georges Ifrah, Histoire universelle des chiffres, Paris, Seghers, 1981. 

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25 mai 2011 3 25 /05 /mai /2011 16:47

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La voix d'un précurseur

 

Si l'on recherche en quoi consiste précisément le plus grand bien de tous, qui doit être la fin de tout système de législation, on trouvera qu'il se réduit à deux objets principaux, la liberté et l'égalité : la liberté, parce que toute dépendance particulière est autant de force ôtée au corps de l'État ; l'égalité, parce que la liberté ne peut subsister sans elle.

J'ai déjà dit ce que c'est que la liberté civile : à l'égard de l'égalité, il ne faut pas entendre par ce mot que les degrés de puissance et de richesse soient absolument les mêmes ; mais que, quant à la puissance, elle soit au-dessous de toute violence, et ne s'exerce jamais qu'en vertu du rang et des lois ; et, quant à la richesse, que nul citoyen ne soit assez opulent pour en pouvoir acheter un autre, et nul assez pauvre pour être contraint de se vendre : ce qui suppose, du côté des grands, modération de biens et de crédit, et, du côté des petits, modération d'avarice et de convoitise.

Cette égalité, disent-ils, est une chimère de spéculation qui ne peut exister dans la pratique. Mais si l'abus est inévitable, s'ensuit-il qu'il ne faille pas au moins le régler ? C'est précisément parce que la force des choses tend toujours à détruire l'égalité, que la force de la législation doit toujours tendre à la maintenir.

 (Jean-Jacques Rousseau, 1762)

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22 mai 2011 7 22 /05 /mai /2011 13:51

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clipart_objets_050.gifLire et écrire ne suffisent pas

 

Les Africains ont certes l’usage de l’écriture, mais non la culture de l’écrit. L’écrit, les lettres et les chiffres sont loin d’avoir acquis en Afrique subsaharienne la noblesse et le rang qui leur sont dus et sont par conséquent loin de façonner les réflexes et les comportements. Ils demeurent à la périphérie des cultures africaines.

Dans de nombreux États africains aujourd’hui encore, l’état civil reste ignoré, aléatoire ou facultatif. Des enfants sont ainsi privés d’existence légale. En Namibie, près d’un tiers des enfants de moins de 5 ans n’ont pas de pièce d’état civil. Ce n’est nullement un cas isolé. Selon le rapport annuel de l’UNICEF, « Progrès pour les enfants », rendu public le 6 octobre 2009, 51 millions des enfants nés en 2007 n’étaient pas inscrits à l’état civil, dont 9,7 millions en Afrique subsaharienne. En Somalie, à peine 3% disposent d’un certificat de naissance. 1

D’une manière générale, il semble exister en Afrique, un conflit larvé entre sociabilité, lettres et chiffres. Lire (écrire aussi), c’est se mettre en retrait, se couper provisoirement du groupe. C’est rompre avec l’entourage immédiat, donc ne pas regarder les autres ni prendre part à la conversation collective. Or, celui qui se met dans cette attitude de retrait, même momentanée, est vu comme asocial, anormal, voire méchant.

Dans de nombreux foyers, non seulement aucun espace n’est prévu pour le livre et la lecture, mais ceux-ci sont interdits. Des enfants doivent se cacher pour lire. Des jeunes écoliers ou élèves se heurtent à cet obstacle, notamment ceux issus de familles d’illettrés ou d’analphabètes. Il existe bien une question du livre et de la lecture en Afrique. En privant les jeunes de livres et de lecture, on les prive de l’outil primordial de réflexion et d’ouverture, de jugement, d’esprit critique, fondement de la science et de la technique. L’Africain discute plus qu’il ne lit. Car il est marqué par ce qu’on pourrait appeler le syndrome de l’arbre à palabrer, puisque la culture de discussion en groupe demeure vivace.

Les grand-places, les « grins » (au Mali), lieu de rassemblement des hommes qui partagent certaines affinités et sont du même groupe d’âge ainsi que le « groupe de thé » sont une réinvention de l’arbre à palabre… Or la solitude est nécessaire à l’écrivain (au penseur en général) qui n’a nullement besoin d’assistance dans cette difficile mais oh combien exaltante parturition qu’est l’écriture2…

Or, l’isolement du penseur, pour lire ou écrire, ce retrait momentané, mieux, cette abstinence d’oral (mais non de pensée) volontairement imposée, permet de mieux retrouver les autres, après s’être retrouvé ou construit soi-même.

L’Afrique est ainsi le continent où on lit le moins. Il s’agit non pas de choisir, mais de concilier cette culture commune de l’oralité qui a ses vertus de sociabilité indéniables, et la lecture, qu’il est tout aussi nécessaire de promouvoir, tout comme le calcul écrit et la mesure du temps afin de les intégrer dans la culture populaire, comme source d’enrichissement personnel et collectif, comme moyen d’ouverture.

 

livre 010Le défaut de culture de l’écrit n’est donc pas sans incidence sur l’action et le devenir des peuples. Il m’apparaît que l’inventaire exhaustif des raisons du retard scientifique et technologique de l’Afrique subsaharienne contemporaine ne saurait faire l’économie d’une réflexion sur cette dimension culturelle spécifique.

Le défaut de culture écrite a été doublement déterminant dans le regard porté sur l’Afrique par le reste du monde (particulièrement l’Europe), par tous ceux qui croient qu’il n’y a pas d’histoire sans écriture, ni de civilisation sans histoire écrite. L’Afrique n’entre officiellement dans l’histoire qu’au XIXe siècle avec la colonisation comme si cette date marquait l’apparition par génération spontanée de tout un continent et des êtres qui le peuplent (l’Afrique subsaharienne s’entend). Son histoire propre est niée, gommée, il ne peut y en avoir faute de preuves écrites et lisibles. L’absence d’écriture a empêché la capitalisation de faits, de connaissances et de richesses culturelles enfouis au sein des siècles et des millénaires et toute cette sagesse contenue dans l’oralité « le verbe, la parole, le symbole, le rythme ». Cela explique un long piétinement des techniques et des savoir-faire ancestraux ayant subi les faiblesses et les limites de la mémoire humaine. Si la parole est vivante, l’écriture lui confère l’immortalité. On fait dater le début de l’histoire de la Chine de 1250 av JC environ, tout simplement parce qu’il a été retrouvé les noms des rois Shang gravés sur des carapaces de tortues datant de cette époque, histoire rimant ainsi avec écriture selon les critères occidentaux.

Les progrès de la langue chinoise au début de ce XXIe siècle, son extension sur le monde, va de pair avec l’expansion économique de la Chine. De plus en plus d’écoles secondaires, en France et ailleurs en Europe, ont incorporé l’enseignement du chinois comme discipline d’excellence parce que langue écrite. Rien de tel pour l’Afrique où, à l’inverse, les langues ont tendance à décliner faute d’écriture.

Sur les 6 000 langues que compte le monde selon l’UNESCO, l’Afrique à elle seule en renferme le tiers. Mais 80% de ces langues sont uniquement orales. Elles ne peuvent avoir de ce fait aucun rayonnement international. Pire, menacées de disparition du fait de la globalisation ainsi que de la prédominance croissante des « grandes langues » : anglais, chinois, français, allemand… leur disparition signifie celle de toute une vision du monde qui n’enrichira plus ni l’Afrique, ni le patrimoine mondial.

L’écrit fait-il l’histoire d’un peuple ?

L’écriture en facilite la lecture sans aucun doute (bien que tout ce qui est écrit ne soit pas dispensé de l’analyse critique rigoureuse propre à la méthode historique), mais, elle ne peut conditionner l’existence, la réalité de l’histoire d’un peuple, ni sa civilisation, s’agissant de l’histoire structurelle, celle qui s’étend sur la très longue durée et met en lumière selon une méthode précise, des facteurs permanents structurants de la vie d’un peuple, d’une nation.

L’histoire européenne a, elle aussi, commencé par l’oralité sur laquelle elle s’est d’abord bâtie. « L’Iliade et l’Odyssée sont restés à l’état de tradition orale pendant plusieurs siècles » avant d’être consignées et fixées par l’écrit. Sinon, elles ne seraient sans doute pas aujourd’hui connues des Européens. Cela signifierait-il que cette tradition n’a pas existé ? Et la Bible elle-même commença par être racontée, tout comme le Coran ou la Torah.

 

livre 010À l’heure de la confrontation de l’Europe et de l’Afrique, lors de la conquête coloniale du XIXe siècle, mieux que les armes à feu, avant la conquête proprement dite, des explorateurs, en abordant et en sillonnant l’Afrique, prirent des notes, firent des relevés, décrivirent la faune et la flore, les êtres humains et leurs coutumes, prirent des mesures, firent des calculs, dressèrent des cartes… grâce à l’écriture.

Plus généralement, l’aventure intellectuelle sans précédent que fut le passage des pictogrammes aux cunéiformes sumériens et babyloniens, puis des idéogrammes aux hiéroglyphes égyptiens, enfin aux alphabets phénicien et grec, avec leurs supports successifs : des os de bœufs aux carapaces de tortues, des lattes de bambou aux rouleaux de soie en Chine, puis le papyrus, le parchemin, et enfin le papier, d’abord chinois, puis oriental et méditerranéen, jusqu’à l’imprimerie en Europe au XVe siècle, cette aventure de l’écriture et du papier, étalée sur le long temps, fut fondatrice de l’esprit et de la science modernes. L’écriture c’est plus de 6000 ans d’aventure, de cheminement de l’esprit humain, de recherche et de perfectionnement continu, vécus par le monde, sans l’Afrique subsaharienne. Cette Afrique est également absente de l’aventure du papier, sans doute la plus exaltante pour l’esprit et les activités humaines. L’Afrique noire fut contournée par la route du papier qui, partie de Chine au IIIe siècle de notre ère, traversa l’Extrême-Orient et l’Asie, longea la Méditerranée et se prolongea par l’Europe jusqu’aux bords de la Baltique.

Les Arabes à leur tour ont découvert l’existence du papier, en Perse, en 637, cinq ans après la mort du prophète Mohammed, et ce fut le point de départ de leur fulgurante expansion militaire.

L’avance que les États d’Asie ont aujourd’hui sur l’Afrique noire en fait de développement matériel et technologique peut-elle s’expliquer sans cette dimension culturelle, celle de la culture du papier entre autres ? Le papier comme moteur de la pensée et des activités humaines, bref comme outil de création. Comment dès lors dissocier le commerce, les mathématiques, les techniques et la science en général de l’usage conscient et régulier du papier ?


bouton 007(Voir Tidiane Diakité, « Des facteurs socioculturels puissants » dans 50 ans après, l’Afrique, Arléa)



[1] Le Monde, 9 octobre 2009, p.5, Sébastien Hervieu.

[2] N Dongo M’Baye, sociologue et journaliste sénégalais, Africultures, octobre 2001.

 

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14 mai 2011 6 14 /05 /mai /2011 14:13

Dakar3Des principes aux réalités2

 

        L'abolition de la traite et de l'esclavage est un chapitre important de l'histoire contemporaine.  Longtemps considérée comme un sujet  tabou, l'histoire de la traite et de l'esclavage fait désormais l'objet de recherches et de débats. Dans ce chapitre, l'histoire de l'abolitionnisme n'est pas sans intérêt. D'abord ultra minoritaire, le mouvement abolitionniste, né au 17e siècle dans les milieux religieux quakers, aux Etats-Unis (principalement en Pennsylvanie), se structure peu à peu, s'étend à l'Angleterre puis à l'ensemble de l'Europe, de la fin du 18e  à la première moitié du 19e siècle.Tour à tour, le Royaume-Uni, le Danemark, la France, les Etats-Unis, abolissent la traite et l'esclavage.

           Mais l'entêtement de trafiquants européens passant outre aux lois de leur nation, ainsi que l'obstination de rois et chefs africains à continuer malgré tout le commerce esclavagiste, amènent les mouvements abolitionnistes européens, particulièrement puissants en Grande-Bretagne, à faire pression sur les puissances européennes, afin qu'elles occupent l'Afrique pour mettre fin à la traite et éradiquer l'esclavage (une pratique ancienne sur ce continent mais revivifiée par la traite atlantique). Les abolitionnistes espéraient, qu'une fois l'esclavage supprimé, les peuples africains vivraient en paix, dans l'harmonie, pour l'épanouissement de tous ; vision idyllique que Françoise Vergès désigne par : "utopie coloniale". Les vieilles colonies françaises (Antilles, Guyane, La Réunion) avaient déjà expérimenté cette utopie coloniale et en avaient rapidement touché les limites. 

       Il existe donc bien un lien entre abolition de l'esclavage et colonisation de l'Afrique, un glissement de la lutte antiesclavagiste à la conquête coloniale.

        L'occupation du continent par les principales nations d'Europe se dessine au cours de rencontres internationales parmi lesquelles la conférence de Berlin (1884-1885), sans doute la plus connue. Les abolitionnistes encouragent et soutiennent la conquête coloniale au nom de l'idéologie républicaine et humanitaire, pour "régénérer l'Afrique".

          Mais la pénétration du continent se heurte à des résistances. S'engage alors ce qui fut appelé la "pacification", qui est en réalité une guerre menée contre les résistants à l'occupation, et qui aboutit à des massacres et à un nombre incalculable de victimes.


fleche 026Sur le terrain deux logiques s'affrontent.


          La logique de l'abolitionnisme militant, celle des droits humains et du progrès des peuples face à la logique des Etats guidée par le souci des intérêts nationaux, économiques, politiques et stratégiques, dans le climat de compétition impérialiste et nationaliste exacerbé du dernier tiers du 19e siècle (et qui mènera à la Première Guerre mondiale).

          C'est la logique des Etats qui l'emporte, reléguant au second plan la lutte contre l'esclavage.

                   Pour réussir la pacification, l'administration coloniale pactise avec les chefs africains,  acteurs et principaux bénéficiaires de la pratique esclavagiste. Dès lors on ferme les yeux tout en essayant parfois de sauver les apparences. Certains administrateurs coloniaux ( Britanniques, Français ou Portugais), pour justifier cette "démission", vont jusqu'à soutenir que l'esclavage traditionnel africain est "bénin" voire "doux" et qu'il n'y a pas lieu de sévir outre mesure.

          Par ailleurs, afin de faciliter la pénétration à l'intérieur du continent, il faut créer les infrastructures nécessaires : routes, chemins de fer, ponts, ports... à cette fin, on établit partout le travail forcé qui entraîne la mort par épuisement ou mauvais traitements de millions de personnes.


fleche 026Trois exemples résument cette déviance de l'objectif initial.


          Au Sénégal : Le général Faidherbe (ami personnel de Victor Schoelcher), nommé gouverneur en 1854, entame sa mission avec la ferme volonté d'éradiquer l'esclavage. Mais bien vite, confronté à la nécessité de la guerre de pacification, il laisse les chefs locaux tranquilles avec leurs esclaves, et s'appuie sur eux pour la conquête de l'ensemble du Sénégal à partir des anciennes bases françaises de Saint-Louis et Gorée.

          Au Congo (ex belge) : En 1889, le roi des Belges, Léopold II, réunit une conférence internationale sur le thème de l'abolition de l'esclavage, à l'issue de laquelle est proclamé l' "Acte de Bruxelles". Les principales puissances et organisations signataires de cette Convention s'engagent à lutter fermement contre la pratique de l'esclavage en Afrique.

            Léopold II fait du Congo sa propriété privée, y instaure rapidement le travail forcé en usant de méthodes d'une cruauté inouïe : des mains, des bras, des jambes sont coupés lorsque le rendement du travailleur est jugé insuffisant.

         Les organisations abolitionnistes s'en émeuvent, et déclenchent une campagne de presse pour dénoncer la duplicité de Léopold II afin de mettre un terme aux exactions perpétrées contre les populations congolaises.

           A Madagascar :  En août 1896, Madagascar est officiellement colonie française .  Le général Gallieni ( futur maréchal de France) est nommé gouverneur général et chargé de pacifier le nouveau territoire. En septembre de la même année, il promulgue un décret abolissant l'esclavage, ce qui lui vaut une distinction de la Société antiesclavagiste de Paris qui lui décerne la "médaille d'honneur" en 1897, pour "acte d'humanité". Deux mois plus tard, Gallieni instaure le travail forcé, imposant à tout Malgache l'obligation de travailler cinquante jours par an pour l'administration. S'en suit rapidement un accroissement  du  taux de mortalité. 

 

         Toutes les colonies européennes d'Afrique connurent le travail forcé et des exactions régulièrement dénoncées par les abolitionnistes et la presse en métropole. Des écrivains et reporters s'en firent l'écho tel André Gide (Voyage au Congo) ou Albert Londres (Bois d'ébène).

          Les pressions amenèrent les administrations coloniales (sauf dans les colonies allemandes) à promulguer des mesures pour abolir l'esclavage (le travail forcé n'est aboli qu'en 1946 dans les possessions françaises), qui ne furent pas à la mesure de l'ampleur du phénomène. L'effet ne fut pas nul, mais bien timide.

                         Si la traite fut réprimée, en revanche l'abolition de l'esclavage en Afrique reste encore aujourd'hui incomplète.

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11 mai 2011 3 11 /05 /mai /2011 17:00

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UN PEU DE POESIE POUR ADOUCIR LES MOEURS DU TEMPS 

 

Blues et vie


Je veux assoupir ton cafard, mon amour,

Et l'endormir,

Te murmurer ce vieil air de blues

Pour l'endormir.

 

C'est un blues mélancolique,

Un blues nostalgique,

Un blues indolent

Et lent.

 

Ce sont les regards des vierges couleur d'ailleurs

L'indolence dolente des crépuscules.

C'est la savane pleurant au clair de lune,

Je dis le long solo d'une longue mélopée.

 

C'est un blues mélancolique

Un blues nostalgique,

Un blues indolent

Et lent.

Léopold Sédar Senghor

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7 mai 2011 6 07 /05 /mai /2011 15:08

canstock4325552Victor Schoelcher, un exemple pour le 21e siècle ?


          Tout d'abord un bref exposé du sens de la polémique récente née du ressentiment de citoyens originaires des départements d'outre-mer (Antilles, Guyane, La Réunion).

          Je comprends parfaitement les griefs à l'encontre de l'homme et de son oeuvre, aussi de ce qu'on en a fait depuis 1848. Qu'il soit détesté par certains de ceux-là parce qu'il fut, selon eux, instrumentalisé par la République qui, après le décret d'abolition du 27 avril 1848, ignora la lutte et les souffrances de leurs ancêtres, en ne voyant que le don de la liberté que leur fit la République, je le comprends aussi. Alors que les anciens maîtres furent grassement indemnisés, les anciens esclaves désormais affranchis, n'eurent droit à rien. On leur dit : "l'esclavage est aboli. La République vous fait don de la liberté. On tourne la page. Il n'y a plus rien à voir, rien à dire non plus. Oubliez. Oublions."

          Plus de deux siècles de labeur mortel pour rien ? Des châtiments inhumains endurés toute une vie pour rien ? Rien que le silence, le tabou, la mémoire enfouie ! Jusqu'en 1998, date de commémoration officielle du 150e anniversaire de l'abolition de l'esclavage, et la loi Taubira de 2001.

          Deux beaux discours en 1998 : le discours du Premier ministre et celui du président de la République. Puis une affiche de l'Etat avec un slogan : "Nous sommes tous nés en 1848". C'est bien, c'est beau. Mais tout cela blessa profondément des Antillais, Guyanais et Réunionais en réveillant en eux des souffrances anciennes, celles de leurs ancêtres.

          Pourquoi ? Parce que toujours aucune allusion   aux souffrances et  luttes de ces derniers. De réparation, il ne fut point question. Ce que demandent les descendants d'anciens esclaves, dans leur immense majorité, ce n'est pas une réparation matérielle, mais une reconnaissance, le pardon. Rien de tout cela ne vint, ni en 1998, ni en 2001.


       Après ce bref exposé, l'objet de ma réflexion : l'homme, Schoelcher, accessoirement son oeuvre abolitionniste.

          C'est Schoelcher le républicain, l'homme au coeur immense ; c'est la force d'une conviction, c'est l'exemplarité d'une détermination et le souci permanent des déshérités et des faibles où qu'ils soient. Cela n'est-il pas surprenant d'un homme né coiffé, issu de la grande bourgeoisie parisienne, donc délivré de tout souci du lendemain?

        Schoelcher est né le 22 juillet 1804 dans une famille catholique originaire d'Alsace. Son père a fait fortune dans la fabrication de porcelaine de Sèvres à Paris.

          Après des études au lycée Condorcet, envoyé au Mexique, aux Etats-Unis et à Cuba entre 1828 et 1830, comme représentant commercial de l'entreprise familiale, il découvrit l'esclavage et ses horreurs, au sud des Etats-Unis, mais surtout à Cuba. Il fut profondément révolté par le sort des esclaves noirs. Sa voie fut  alors tracée, il n'en déviera plus. A compter de ce moment, le fils de grands bourgeois lia son sort à celui des malheureux esclaves et fit desormais de l'abolition de l'esclavage le combat de sa vie.

         Républicain dans l'âme, sa vie durant, il ne cessa de dénoncer "les misères du monde". Il fit mieux que dénoncer, il agit à la mesure de sa force et de ses moyens. Avant d'être le principal instigateur de l'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises, qu'il fit aboutir par le décret du 27 avril 1848, il développa sa pensée et ses sentiments vis-à-vis de ce phénomène, notamment dans deux ouvrages marquants où il dénonce avec virulence la théorie des races à la mode en cette deuxième moitié du 19e siècle :

- Des colonies françaises. L'abolition immédiate de l'esclavage.

- Les colonies anglaises et Haïti.

          Schoelcher fut aussi un homme aux multiples luttes, toutes ayant pour axe central la liberté et la dignité de l'homme, quel qu'il soit.

          Une fois l'abolition acquise, il oeuvra inlassablement pour améliorer les conditions des nouveaux affranchis, tout particulièrement pour leur instruction (il était interdit aux esclaves d'apprendre à lire). L'artisan de l'abolition était convaincu qu'un homme ignorant restait esclave et pour lui "l'esclavage c'est la mort".

          Lui, l'anticlérical intransigeant, fit appel aux congrégations religieuses, notamment les Frères de Ploërmel et les Soeurs de Cluny, pour "ouvrir des écoles gratuites aux Antillais et des cours du soir afin de réussir l'émancipation".

          Il dénonça toutes les formes de substitution à l'esclavage par le travail forcé et le système des travailleurs "engagés salariés", qui devaient combler le manque de main- d'oeuvre après l'abolition.

          Il s'engagea contre la peine de mort qu'il combattit toute sa vie. Il mena le même combat contre les bagnes et milita avec ardeur pour les droits des femmes et les droits des enfants, notamment les enfants maltraités ou  abandonnés.

          Elu député, à la fois de la Martinique et de la Guadeloupe, à la faveur du suffrage universel masculin (instauré pour la première fois en France par la deuxième République, loi du 5 mars 1848), il céda son siège de la Guadeloupe à un ancien esclave.

       Liberté, égalité, fraternité, Schoelcher fut l'incarnation parfaite de cette devise et le combat pour ces idéaux anima toute sa vie.

          Banni après le coup d'Etat du 2 décembre 1851, qui fit du président de la République, Louis Napoléon, l'empereur Napoléon III, il s'exila ,29 années de sa vie, à Londres, avant de rentrer après la chute de l'empereur en 1870, reprendre sa place de combattant pour la République.

          Mort le 25 décembre 1893, sans héritier, il légua sa fortune aux déshérités.

          La République lui fut reconnaissante en l'admettant le 20 mai 1949 au Panthéon. k1110966


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4 mai 2011 3 04 /05 /mai /2011 17:05

k0552098

Servir l'Humanité

Une liaison mutuelle entre les hommes est une exigence naturelle. Un homme, parce qu'il est un homme, ne doit pas être un étranger pour un autre homme... Nous sommes destinés par la Nature à former des groupes, des assemblées, des cités.

Le monde, disent les Stoïciens, est régi par une volonté divine : c'est la ville, la cité commune des hommes et des dieux ; chacun de nous est un membre de ce grand corps. De là cette loi, fondée par la Nature, qu'il faut préférer l'intérêt commun au sien propre... Le traître qui livre sa patrie n'est pas plus coupable que celui qui, pour son intérêt personnel, pour sauver sa vie, trahit la cause de l'humanité.

Cicéron (106-43 av. JC), Des biens et des maux

DEC 073C

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30 avril 2011 6 30 /04 /avril /2011 15:03

110 F 9391596 Yy5W6ZQBTpQo2rr313VvC24fxCW5Li8jPropos d'amis


Faut-il intervenir dans les mouvements du monde arabe ?

 

 

fleche 026Michel - Que penses-tu de l'intervention des Occidentaux en Libye ? De la condamnation des chefs d'Etat des pays qui connaissent les mêmes mouvements de révolte ?

 fleche 026Tid - Je suis ces mouvements avec intérêt et espoir.

~Intérêt, car la révolte d'un peuple asservi des décennies durant, au nom de la liberté et de la justice, est toujours un événement exaltant. C'est l'histoire en marche.

~Espoir, parce qu'il s'agit de mouvements nés de l'intérieur, qui ne sont ni inspirés, ni téléguidés, et qui s'articulent autour des mots liberté, justice, démocratie. Qui l'eût cru, s'agissant de pays arabes, où le peuple est généralement présenté comme résigné, soumis, emmuré dans un fatalisme immuable ?

fleche 026Michel - Certes, ces mouvements sont nés de la seule volonté de ces peuples. Mais les Occidentaux qui accourent sont-ils désintéressés ?

fleche 026Tid - Ils viennent d'abord en aide à ceux qui font appel à eux ; même si un peuple déterminé à conquérir sa liberté et ses droits n'y renonce pas, quelle que soit la difficulté rencontrée.

Le reproche qui est fait à ceux qui apportent leur concours ou le soupçon qu'on nourrit à leur égard, n'est pas nouveau dans l'histoire. Il fut largement entendu et diffusé au 18e et début 19e siècle, notamment au sujet  de la croisade menée par les Anglais pour  l'abolition de l'esclavage et l'interdiction de la traite atlantique. Première nation à prendre la tête de cette croisade, la Grande-Bretagne suscita soupçons, réprobation et ferme condamnation d'un nombre important d'Etats européens parmi lesquels la France.

 Dans cette France d'alors, largement anglophobe (et pour cause !), le mouvement abolitionniste dont les Anglais prirent la tête fut accusé de "servir la perfide Albion", l'ennemi de toujours, et dénoncé comme "l'apport anglo-protestant à la subversion révolutionnaire en Europe, et instrument nocif de la comédie philanthropique".

Les autres puissances européennes accusèrent surtout l'Angleterre d'hypocrisie, de vouloir ruiner le commerce de ses rivaux et saper leur économie en s'attaquant à la richesse de leurs colonies d'Amérique (fondée sur le travail servile), surtout, de vouloir consolider sa suprématie sur les mers.

Cependant, face à la détermination des Britanniques, alors seuls gendarmes des mers, les principales nations d'Europe, la France en tête, finirent par les rejoindre pour traquer les navires transportant des esclaves vers l'Amérique.

C'est de cette croisade, devenue internationale à partir de la seconde moitié du 19e siècle, que naquit un droit international abolitionniste qui, pour la première fois, invoqua la notion de "guerre juste" au motif de la nécessité de défense des individus et de leurs droits. Selon cette théorie "les violateurs de droits des individus peuvent être châtiés" (voir Monique Chemillier-Gendrau, Humanité et Souveraineté, essai sur la notion de droit international).

Et c'est précisément de là qu'émergea le "droit humanitaire d'intervention", aujourd'hui "droit d'ingérence humanitaire". Des tribunaux baptisés "cour de justice" furent spécialement créés, avec trois sièges principaux : Afrique (Sierra Leone), Amérique (Brésil), Europe (Portugal), chaque siège comprenant un juge et un commissaire de chaque nationalité ainsi qu'un secrétaire général nommé conjointement.

Par ailleurs, les révolutions des 18 et 19e siècles, aux Etats-Unis et en Europe, eurent pour effet principal d'ancrer le concept de "droits de l'Homme" dans les esprits, concept inspiré de valeurs chrétiennes dont celle de "fraternité humaine". "Dieu n'a-t-il pas créé les hommes égaux et libres ?"

Cette idée chrétienne se maria harmonieusement à l'idéologie républicaine, laquelle incluait également l'affirmation du droit au bonheur de tout être humain, autre idée force des philosophes des Lumières. L'universalisme républicain rencontrait  l'universalisme chrétien. Il est ainsi dans l'histoire de ces rencontres fortuites et curieuses. Ainsi, le Comité pour l'abolition de l'esclavage mis en place en France par la 2e République, en 1848, comptait parmi ses membres des anticléricaux virulents, tel son président Victor Schoelcher qui a fait de l'abolition le combat de sa vie.

fleche 026Michel - Le rapprochement est singulier en effet, de l'esclavage au droit d'ingérence moderne.

fleche 026Tid - En effet, il est des cheminements imprévus de l'histoire.

L'essentiel pour les peuples arabes aujourd'hui en quête de dignité est qu'aucune puissance extérieure ne confisque leur lutte et que l'aide qui leur est apportée ne puisse en aucune manière signifier allégeance.

fleche 026Michel - Et l'Afrique subsaharienne ? Penses-tu qu'elle emboîtera le pas au monde arabe, les situations étant quasiment identiques : la mauvaise gouvernance et les maux qu'elle engendre ?

fleche 026Tid - Dans l'histoire, la lutte contre la tyrannie et pour la liberté, est contagieuse. Cela étant, ce sera sans doute plus lent et plus difficile dans cette partie de l'Afrique.

fleche 026Michel - Pourquoi ?

fleche 026Tid - Parce que dans les pays qui la composent, les structures socioculturelles sont autres. On croit aux sorciers et les morts gouvernent les vivants.

fleche 026Michel - C'est à dire ?

fleche 026Tid - C'est à dire qu'on est plus crédule, plus influençable. Par ailleurs, le niveau d'éducation y est moindre.

Si l'aspiration à la liberté est inhérente à la nature humaine, avec 80% d'analphabètes en moyenne, le chemin pour y accéder apparaît autrement plus ardu.

Mais il n'y a là aucune fatalité. L'Histoire suivra inéluctablement son cours.

1525R-140767

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23 avril 2011 6 23 /04 /avril /2011 09:02

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005.gifOsons poser les questions pour comprendre

 

          A la tradition judéo-chrétienne "Dieu créa la terre et dit aux hommes dominez-la", s'opposent les croyances traditionnelles africaines où "Dieu créa la terre et dit aux hommes respectez tout ce qui s'y trouve afin de vivre en harmonie avec tout".

          Dans ces croyances, les dieux ne sont pas au ciel, ils sont au fond du puits de la maison, ils sont dans le brin d'herbe qui se courbe sous le souffle du vent, ils sont dans ce vent qui siffle ou susurre, ils sont dans la pierre qui se trouve au bord du chemin, dans le caillou sous le pied... Ils sont partout en compagnie des ancêtres et de tous les morts. Tout acte commis contre l'un de ces éléments l'est contre les dieux et contre l'esprit des ancêtres. Il faut donc y toucher le moins possible et avec le maximum de précautions ou ne le faire qu'après mille justifications et prosternations en expliquant au préalable ses intentions. Expliquer que lorsqu'on abat un arbre, qu'on tue un gibier, ou qu'on prend un poisson dans la rivière, c'est pour une raison majeure de vie. Ainsi « l'agriculteur ne sème ni ne plante avant de demander à la terre d'accepter tout d'abord, puis de veiller sur la transformation de la graine qu'il lui confie. Il lui demande pardon avant de la fendre avec sa houe, afin qu'elle accepte cette blessure sans colère » (A. Hampaté Bâ, Aspects de la tradition africaine)

          Pour la première, il s'agit d'éprouver ses forces physiques et mentales pour découvrir, voir, conquérir et dominer. Pour les secondes en revanche, l'objectif primordial, c'est veiller  au respect rigoureux des esprits qui demeurent en haut et en bas, afin de préserver l'harmonie du cosmos, celle de l'environnement, incluant êtres vivants et choses.

          Ainsi la confrontation entre les "Ancêtres" et la "Machine" est inégale. La maîtrise technique prend le pas, matériellement.

Cette divergence de regard porté sur le monde et l'existence humaine réside tout entière dans les propos de Victor Hugo, justifiant en 1841 la conquête et l'occupation de l'Algérie :

          "C'est la civilisation qui marche sur la barbarie, c'est un peuple éclairé qui va trouver un peuple dans la nuit. Nous sommes les Grecs du monde ; c'est à nous d'illuminer le monde".

          Ni Barbares, ni Eclairés. Heureusement. Comment établit-on une hiérarchie entre les cultures ? La différence culturelle n'est pas fixée et figée. Elle s'articule au mouvement de l'histoire, s'inscrit dans la porosité des cultures, dans leur interactivité.

1525R-140767

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