Une délinquance éminemment symbolique
Extraits
Du Bénin, il arnaque 140 internautes
Les marchandises n'étaient pas chères. Mais c'était du vent. Son complice rennais était jugé hier.
Ils pensaient tous faire la bonne affaire. Un petit tracteur à 800 €, un 4x4 à 2 000 €, un appartement à La Rochelle, du bois de chauffage... « M. Charles » ne manquait pas d'imagination. Et il savait illustrer ses offres d'achat. Et quand les photos sont belles, les marchandises le sont souvent moins. Tous ignoraient que l'argent allait dans les poches d'un escroc béninois aux multiples noms.
110 000 euros de préjudice
Pour rassurer ses « clients », l'Africain avait trouvé un Rennais de 45 ans, chargé de récupérer les mandats cash dans un bureau de poste de Rennes. II gardait 10 % des sommes expédiées et renvoyait les 90 % restants au Bénin. Il a été interpellé en août 2010. Le Béninois ne sera sûrement jamais inquiété. Les 140 victimes, des gens modestes qui pensaient faire une bonne affaire, se retournent aujourd'hui contre le complice rennais. Le préjudice s'élève à 110 000 €.
À la barre du tribunal correctionnel, il affirme qu'il ne savait pas qu'il s'agissait d'une escroquerie. « J'étais aux abois, explique-t-il. Je n'ai pas prêté attention à ce que je faisais. » Une amie l'avait pourtant mis en garde. Ses neveux avaient eu des ennuis judiciaires pour les mêmes raisons. « Si j'avais su, je n'aurais pas présenté ma carte d'identité à La Poste », insiste-il. « Ça dépend, rétorque le président du tribunal. Vous pensiez peut-être ne pas vous faire avoir... »
Le prévenu prétend qu'il n'a jamais rencontré son employeur. Juste par Internet et, ensuite, il recevait les instructions sur son téléphone portable. Le procureur de la République n'y croit pas. « Il fallait des complices qui prennent le risque d'aller chercher les mandats, analyse le magistrat. Nous avons ici tous les cas d'école de l'escroquerie. » Peine requise : un an avec sursis.
L'avocat de la défense estime que, comme les victimes, son client « ne savait pas qu'il s'agissait d'une escroquerie ». Le jugement sera rendu le 4 avril.
Serge LE LUYER, Ouest-France
Faux appel de détresse, vraie arnaque
Les contacts mail d'une habitante de Perros-Guirec ont reçu un message de détresse du Mali. Alors qu'elle était chez elle.
« T'es où ? ». « Ben, à la maison. Pourquoi ? ». « Alors, t'as pas été attaquée en Afrique ? ». Ce genre de coups de téléphone, cette Perrosienne en reçoit des dizaines depuis hier matin. A chaque fois, ses interlocuteurs s'inquiètent de savoir si elle est vraiment en détresse au fin fond du Mali. Tout simplement parce que son carnet d'adresses mail a été piraté. Un carnet plutôt étoffé, puisqu'elle est correspondante de presse pour Le Trégor, l'hebdomadaire local.
C'est ainsi que ses contacts ont reçu, dans la nuit de mardi à mercredi dernier, un message de détresse. Tout indique qu'elle en est à l'origine. Les pirates lui font dire qu'elle avait été obligée de quitter précipitamment son domicile pour se rendre au Mali où elle avait été agressée. Et délestée de tout son argent. Pour se tirer d'affaire, elle demande à ses interlocuteurs de lui adresser un mandat de 1 850 € vers un bureau de poste de Bamako. Fort heureusement, à sa connaissance, personne n'a transmis d'argent. Ses relations ont d'abord tenté de la joindre. Tous, sauf ses enfants avec qui elle échange pourtant le plus de courriels. Eux n'avaient pas reçu le message de détresse. Comme si les pirates avaient écarté ses correspondants les plus proches.
Pas un cas isolé
Quand elle a contacté les gendarmes, hier, ceux-ci lui ont fait savoir qu'ils ne pouvaient intervenir pour une infraction de ce type commise dans un pays étranger. Ils lui ont conseillé de s'adresser à un service spécialisé du ministère de l'Intérieur. Il lui a été indiqué que ce genre de piratage était monnaie courante. Les victimes étant souvent, comme elle, des abonnés de la messagerie Gmail. Messagerie qui lui a d'ailleurs fait savoir, hier matin, qu'elle avait désactivé son service après avoir « détecté une activité inhabituelle » sur son compte. Ce qui lui a valu de perdre l'intégralité de son carnet d'adresses.
Ouest-France, 03 mars 2011
ARNAQUE
Gabriel Poncet est un honorable député, suisse de son état. Contacté en octobre 2010 par un homme qui prétendait pouvoir lui confier la gestion de la fortune d'un membre de sa famille, décédé à Lomé douze ans plus tôt, ledit Poncet s'est envolé pour le Togo mi-janvier. L'arnaque est vieille comme le net, mais ça n'a pas alerté notre naïf parlementaire, kidnappé dès son arrivée à Lomé. Des 12 millions de dollars promis, il n'a plus été question. Les ravisseurs - béninois, togolais et nigérians - exigeaient une rançon, et il aura fallu l'intervention de la gendarmerie togolaise pour le libérer.
Jeune Afrique, 27 février-05 mars 2011
La presse en Europe abonde en faits divers de ce genre qui mettent en scène des Africains. Cette nouvelle culture de l'arnaque, née des nouvelles technologies de l'information ne peut nourrir ceux qui en sont les promoteurs. De plus, elle n'élève ni ne grandit ses adeptes. A la pauvreté s'ajoute ainsi l'opprobre général. Ce n'est ni la voie qui mène à la réussite, ni celle qui mène à la respectabilité. Au contraire, elle dégrade et avilit.
On ne se construit pas, on ne construit rien par le vol et la fraude, fussent-ils opérés au moyen de la technologie la plus moderne. Au-delà de la personne de ces escrocs, c'est l'image de leur pays, voire de leur continent, qui en sort encore un peu plus ternie.
On ne peut entrer dans la mondialisation par effraction.
La culture africaine authentique et son capital d'humanisme sont en passe d'imploser face aux images venues d'Occident et la logique de consommation qu'elles sous-tendent. Mais, pour ces cyberescrocs, cette logique de consommation l'emporte sur la logique de l'effort et de la production, alors que les deux sont associés en Occident.
L'Afrique saura-t-elle intégrer à ses valeurs humanistes originelles l'évolution technologique qui accompagne la mondialisation ?
[Sur ce thème, voir Tidiane Diakité, 50 ans après, l'Afrique. Pourquoi l'Afrique en est là ? Editions Arléa, Paris]