Prenons nos responsabilités face à l’Histoire Ce thème alimente l’actualité depuis un certain temps, nourri de fantasmes, de non-dits mais sans doute aussi de beaucoup d’ignorance.
Peut-on juger, condamner ou acquitter sans une connaissance approfondie des faits, de l’Histoire.
Il est peu de sujets de l'histoire africaine sur lequel on ait autant écrit que sur la traite atlantique. Cependant et fort curieusement, cette traite demeure l'un des faits de l'histoire africaine le moins bien connu. Les documents sont abondants et les ouvrages importants qui portent tous sur l'aspect européen de la traite. Il est ainsi question de traite anglaise, portugaise, hollandaise, française... La plus grande littérature demeure celle fournie par les écrits des antiesclavagistes et de leurs adversaires. Mais l'aspect purement africain reste encore dans l'ombre pour une bonne part. Quelle fut la dimension spécifiquement africaine du phénomène? D'une manière générale les écrits sur la traite des Noirs posent plus de questions qu'ils n'apportent de réponses précises, fiables et définitives. De nombreux historiens qui se sont penchés sur ce sujet, se sont contentés le plus souvent, d'énoncer des généralités. Parmi celles-ci, une semble privilégiée et revient très fréquemment à l'esprit. C'est le nombre d'individus que la traite a coûté à l'Afrique. Combien sont partis? Combien sont morts? Nul ne le saura sans doute jamais. C'est à croire que les documents indispensables pour une telle évaluation n'ont jamais été élaborés. A cet égard, il peut sembler étonnant de constater que jamais deux ouvrages consacrés au même thème — la traite des Noirs — ne donnent les mêmes chiffres, même s'ils traitent tous deux d'une même région à une même époque et qu'au contraire, ils se tirent tous d'affaire par des interrogations, sinon par une estimation fournie à partir de données confuses et incomplètes. Ainsi que nous le fait remarquer Basil Davidson, « entre 1580 et 1680, par exemple, on dit que les Portugais n'ont pas transporté moins de un million d'esclaves au Brésil. Dans les cent années qui suivirent, il semble que les colonies britanniques d'Amérique du Nord et des Caraïbes aient reçu au moins deux millions d'Africains. Pour le total général des esclaves débarqués vivants outre-Atlantique, un éminent statisticien démographe, Kuczinski, est arrivé à la conclusion que quinze millions est un «chiffre qui peut être retenu. » D'autres chercheurs ont accepté ce chiffre, mais comme un minimum; certains ont pensé que le total probable serait une cinquantaine de millions et d'autres encore l'ont estimé beaucoup plus élevé... » Qui dira jamais aujourd'hui, avec assurance et sans risque de contredit, le nombre exact de morts, victimes de razzias, de captures ? Qui établira jamais avec certitude le nombre de ceux qui sont morts durant la traversée entre l'Afrique et l'Amérique? La traite atlantique attend toujours son statisticien, celui qui affirmera des faits et donnera des chiffres sans point d'interrogation. Elle attend aussi ses économistes ainsi que ses psychologues et ses sociologues. Les responsabilités africaines dans ce trafic d'esclaves apparaissent d'autant plus difficiles à établir avec la rigueur scientifique exigible. Qui dira avec certitude la part qui incombe aux Africains eux-mêmes dans ces chiffres? Qui sont ces Africains négriers ? Comment se comportaient-ils au sein de leur société d'origine ? Si la dimension africaine de la traite négrière (ou traite atlantique) ne peut être niée ou minorée, il incombe, me semble-t-il, aux historiens africains eux-mêmes d’en évaluer la réalité et la portée.