Après les frappes extérieures, les frappes intérieures. Quelle stratégie de reconstruction ?
Un genou à terre
Face à l’avancée fulgurante des islamistes, le président malien par intérim, Dioncounda Traoré, lança, le 10 janvier 2013, cet appel désespéré au président français :
« Au secours, les terroristes arrivent ; nous sommes sans défense… ils risquent d’occuper notre capitale… et ce sera fini pour le Mali… »
On devine aisément ce que cela a dû coûter comme effort et réalisme au chef d’un pays au passé glorieux, de mettre un genou à terre et de mettre ainsi en berne le drapeau de la fierté nationale.
Tombouctou sous la férule des islamistes
La France pouvait-elle ne pas répondre ?
L’appel de Dioncounda Traoré ayant été adressé nommément à la France, celle-ci ne pouvait se dérober sans trahir les liens d’amitié existant entre les deux pays depuis si longtemps.
Soldats français en action.
Tombouctou. La libération bleu-blanc-rouge. Vive la France !
Tombouctou libérée. La population exulte.
Après la France, le Mali
Il incombe au Mali « libéré », après les frappes françaises, de se relever, de hisser sans tarder son drapeau et recouvrer sa fierté. Pour ce faire, il convient de ne point se bercer d’illusions. Cette reconstruction ne sera pas l’étape la plus aisée. C’est tout le contraire. Mais, quelle que soit la difficulté de la tâche, ce devoir impérieux incombe aux Maliens. La France, avec ses avions et ses soldats, a permis au Mali de franchir une étape, certes essentielle. Mais ce sont les Maliens qui assureront ou non l’existence du Mali, en tant que nation libre et souveraine, aujourd’hui et demain. Ce sera la deuxième étape, celle de la reconstruction territoriale, politique, sociale, morale d’un État ravagé et humilié, sur des bases saines et pérennes.
Après les frappes du dehors, les frappes du dedans
Les islamistes n’ont pas miné que le terrain au Mali, ils ont aussi miné des cerveaux. Si les soldats français ont déminé le terrain, le déminage des cerveaux sera le fait des Maliens et ce de leur seule responsabilité. Cette tâche requiert d’autres compétences : discernement, doigté, pédagogie, car cette œuvre de construction ne doit écarter aucun fils de la nation ; elle doit par-dessus tout éloigner le spectre dangereux de naufrage des droits humains. Il s’agit de faire entrer dans le cercle familial ceux qui en sont sortis pour un temps, volontairement, pour pactiser avec les islamistes, comme ceux poussés par la nécessité.
Un collaborateur présumé traîné par un soldat malien
La reconstruction doit se faire en liaison avec ceux qui sont susceptibles de l’aider dans sa tâche. Il s’agit tout d’abord de ceux qui ont mission d’assurer la relève de l’armée française, après son retrait annoncé ; en tout premier lieu l’Algérie. Il est hautement souhaitable que ce pays s’engage dans le processus de normalisation enclenché afin que la voie soit dégagée et sans nuages dans le futur. Tout au moins, sa position devrait être clarifiée, si possible avant même le départ des troupes françaises du Mali, car une énigme demeure malgré tout. Si l’Algérie a bien autorisé le survol de son territoire aux avions français, dans les faits, seuls les avions de transport ont survolé son espace aérien. Les avions de combat (les 4 Rafale) ont évité l’Algérie et sont passés par le Maroc. Les avions de combat étaient-ils exclus de l’autorisation de survol ?
Par ailleurs, les Français partis, la tâche de sécurisation ne sera sans doute pas facile pour les forces africaines, même sous le couvert des couleurs de L’ONU et labellisées « forces de maintien de la paix ». D’une part parce qu’il faudra parvenir à une harmonisation de leur action avec celle de l’armée malienne (harmonisation des cultures, des objectifs et des motivations). D’autre part, et surtout, ces forces africaines risquent d’apparaître rapidement comme une force d’occupation étrangère. Ce qui peut être toléré des soldats français sur le sol malien ne le sera certainement pas des troupes africaines. De ce fait, le moindre incident, la moindre bavure peut vite dégénérer en vives tensions ; ce que ne manqueraient pas d’exploiter les ennemis qu’elles sont venues combattre et qui restent en embuscade, loin d’avoir renoncé à leurs objectifs et disposant encore de moyens importants.
(Re) construction de l’État aujourd’hui et demain
Parallèlement, les Maliens doivent s’atteler à la titanesque œuvre de reconstruction (de création ?) d’un État et d’une nation, autrement plus ardue que l’action militaire. Là, l’esprit, l’intelligence (le cœur aussi !) font plus et mieux que les bombes.
La question touarègue
Une priorité. Elle doit être traitée et une solution trouvée autrement que par le mépris et les balles. Il y va de la chance de préserver l’intégrité du Mali.
L’histoire aussi !
Que les Maliens revisitent leur histoire. La singularité du Mali, c’est d’être un carrefour géographique et humain, trait d’union entre le Nord et le Sud, le désert et la forêt, terre multiséculaire de rencontre, de brassage de peuples et de cultures, berceau de brillants empires, de brillantes civilisations[1]. Cette belle et heureuse symbiose de l’histoire doit être préservée et soignée, pour nourrir de sa sève l’esprit et le cœur des Maliens d’aujourd’hui, en leur prodiguant richesse humaine, spirituelle et culturelle.
Le Mali de l’empereur Soundiata Kéita a marqué l’histoire, des siècles durant de sa puissante empreinte. Puisse l’ex-Soudan français devenu République du Mali depuis 1960, en souvenir de son illustre ancêtre, s’inspirer de ce dernier pour être à la hauteur de son histoire, ou, tout au moins, lui faire honneur, à défaut de l’égaler.
Certes, Soundiata Kéita, comme tout empereur, s’est servi des armes pour soumettre et rassembler. Cependant ses qualités d’homme d’État, l’excellence de sa gouvernance, et surtout l’effort déployé pour faire triompher les valeurs humaines, furent les soubassements de cet État multiethnique, et en assurèrent la durée. L’empereur Soundiata s’attela à l’abolition de l’esclavage sur toute l’étendue de son empire, ainsi qu’à la promotion des droits humains pour tous, sans distinction de couleur de peau ni de religion.
Un sociologue malien le rappelle :
« Soundiata Kéita, l’infirme, a fondé un empire basé sur la justice et l’équité. Il a renversé un despote et créé un État où les faibles étaient protégés par les forts, et où les droits humains étaient garantis par la Charte de Mandé[2]. Peut-être qu’en regardant vers ces valeurs, nous parviendrons à refonder un Mali nouveau. »
Puissent, en effet, les Maliens se souvenir et s’inspirer de cette Charte de Mandé qui s’élevait aussi bien contre la famine et ses causes que contre l’esclavage et toutes les formes de violations des droits humains, tel qu’il apparaît dans l’ extrait de la Charte de Mandé ci-dessous :
[…]
Toute vie humaine est une vie.
Il est vrai qu'une vie apparaît à l'existence avant une autre vie,
Mais une vie n'est pas plus « ancienne »,
Plus respectable qu'une autre vie,
De même qu'une vie ne vaut pas mieux
Qu'une autre vie.
[…]
Toute vie étant une vie,
Tout tort causé à une vie exige réparation.
Par conséquent,
Que nul ne s'en prenne gratuitement à son voisin,
Que nul ne cause du tort à son prochain,
Que nul ne martyrise son semblable.
[…]
La faim n'est pas une bonne chose,
L'esclavage n'est pas non plus une bonne chose ;
Il n'y a pire calamité que ces choses-là,
Dans ce bas monde.
Tant que nous disposerons du carquois et de l'arc,
La famine ne tuera personne dans le Mandé,
Si d'aventure la famine survient.
La guerre ne détruira plus jamais de village
Pour y prélever des esclaves ;
C'est dire que nul ne placera désormais
Le mors dans la bouche de son semblable
[…]
L'essence de l'esclavage est éteinte ce jour,
« D'un mur à l'autre »,
D'une frontière à l'autre du Mandé ;
Les razzias sont bannies
A compter de ce jour au Mandé ;
Les tourments nés de ces horreurs
Disparaîtront à partir de ce jour au Mandé.
Quelle horreur que la famine !
Un affamé ignore
Toute pudeur, toute retenue.
Quelle souffrance épouvantable
Pour l'esclave et l'affamé,
Surtout lorsqu'ils ne disposent
D'aucun recours.
L'esclave est dépouillé
De sa dignité partout dans le monde.
Les gens d'autrefois nous disent :
« L'homme en tant qu'individu
Fait d'os et de chair
De moelle et de nerfs,
De peau recouverte de poils et de cheveux
Se nourrit d'aliments et de boissons ;
Mais son âme, son esprit vit de trois choses :
Voir ce qu'il a envie de voir,
Dire ce qu'il a envie de dire,
Et faire ce qu'il a envie de faire.
Si une seule de ces choses
Venait à manquer à l'âme,
Elle en souffrirait,
Et s'étiolerait sûrement. »
En conséquence, les enfants
De Sanéné et Kontron déclarent :
Chacun dispose désormais de sa personne,
Chacun est libre de ses actes,
Dans le respect des « interdits »,
Par la loi de sa patrie.
Tel est le Serment du Mandé
A l'adresse des oreilles du monde tout entier.
Les Maliens ont un trésor caché à leur portée, dans les replis de leur histoire et qui, en ces temps de doute, d’incertitude et d’affaissement, constitue un viatique précieux qui ne doit pas rouiller dans les mémoires.
[1] L’empire du Mali, ce fleuron de l’Afrique, premier État structuré, le plus vaste et le plus prestigieux qu’ait connu l’Afrique noire du XIe au XVe siècle, incarna l’excellence de la gouvernance sous le règne de Soundiata Kéita.