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7 décembre 2014 7 07 /12 /décembre /2014 08:49

091-C

1918-1920. DÉMOBILISATION. TIRAILLEURS AFRICAINS, LE RETOUR

 etoile 042

Une nouvelle catégorie sociale : entre deux mondes

 

gif anime puces 028L’administration coloniale et l’ancien combattant « indigène »

Dans toutes les colonies françaises, en Afrique subsaharienne comme en Algérie, l’administration redoutait la démobilisation des sujets coloniaux, et ce bien avant la fin de la guerre.

gif anime puces 849 Comment se comporteraient-ils ?

gif anime puces 849 Auraient-ils la prétention de se mesurer à leurs maîtres ?

gif anime puces 849Auraient-ils l'audace de juger, de critiquer, de se plaindre ?

gif anime puces 849De revendiquer ?

 

De fait, cette démobilisation ne fut ni aussi massive, ni aussi immédiate que prévu. Beaucoup de tirailleurs ne sont pas rentrés au pays, et sont restés mobilisés notamment par l'occupation de la Rhénanie, puis au Levant ou ailleurs, au service de la France.

 

Ceux qui sont rentrés à partir de 1919 reviennent effectivement avec des habitudes nouvelles et un état d'esprit nouveau. Pouvait-il en être autrement ? Ces hommes sont doublement marqués, par la guerre d'abord puis par le contact et l'expérience de la Métropole qu'ils ont découverte pour la première fois de leur existence. Le grand souhait de l'administration coloniale, c'est que ces hommes, rentrés au logis originel, soient rapidement « réabsorbés » par leur milieu. Mais une analyse fine de leurs réactions à leur retour doit prendre en compte un certain nombre de facteurs parmi lesquels, en premier lieu, le mode et les conditions de leur recrutement dans l'armée française. Comment ils ont été « livrés » aux Blancs et sacrifiés ; car, être recruté, être déclaré apte, bon pour le service des armes signifiait dans la mentalité collective africaine, l'octroi d'un biller simple, sans retour. De ce fait, ceux qui sont partis étaient pour la plupart des marginaux, des captifs ou des gêneurs dont la société a pu ainsi se débarrasser à bon compte. Or ces hommes reviennent au village non seulement auréolés du prestige du combattant, mais aussi avec une série d'avantages matériels et de privilèges civiques. Le plus significatif est aussi qu'ils soient rentrés bardés de quelques certitudes, sommaires certes, mais révélatrices d'un choc mental, expression d'un passé, du vécu immédiat et du présent.

 

La prime de démobilisation offerte par la France, plus ou moins conséquente selon les années de service mais aussi le nombre et l'importance des campagnes constitue la première marque distinctive qui sépare « l'Ancien Combattant » du reste de la population. Cette prime, même réduite à sa plus simple expression fait de l'ancien soldat un homme à part, un « possédant ». Ils font donc incontestablement figure de « privilégiés » au sein de leur communauté. Les mieux nantis à cet égard sont sans aucun doute les militaires de carrière qui rentrent après quinze années de service, bénéficiant ainsi d'une pension régulière. Le deuxième facteur à prendre en compte dans l'attitude des démobilisés vis-à-vis de leur milieu originel et de l'administration coloniale réside dans ces avantages acquis. Leur réinsertion devait être facilitée par la création d'emplois réservés, notamment dans le chemin de fer qui se développait dans les colonies françaises au lendemain de la Première Guerre mondiale, également des postes administratifs sous-qualifiants. Mais seule une minorité d'anciens combattants vont en bénéficier effectivement car il fallait savoir lire et écrire le français. Les plus qualifiés parmi les lettrés occupent des postes de prestige, tout particulièrement celui d’interprète si envié ! Les moins qualifiés trouvent tout de même parfois des emplois à leur mesure comme celui de garde-cercle vers lequel beaucoup vont se tourner, de planton ou gardien des édifices officiels pour lesquels il n'était guère indispensable d'être expert en français.

Dans l'ensemble, cette minorité constituera une couche sociale nouvelle, celle de petits fonctionnaires africains subalternes qui seront des agents de l'acculturation, capables de se muer à l'occasion en agents de contestation —le fait que plus de 80% de ces mobilisés soient analphabètes a singulièrement limité la portée de cette acculturation.

 

vieux soldat

 

gif anime puces 028Citoyen ou sujet?

Ces démobilisés coloniaux, quoique réputés frondeurs sont restés loyaux dans l'ensemble vis-à-vis de l'administration coloniale à laquelle ils fournissaient auxiliaires et agents bénévoles. Ainsi, les premières victimes du retour des anciens combattants furent non point l'administration coloniale, mais les autorités traditionnelles et l'ordre traditionnel dans son ensemble. Beaucoup d'anciens soldats, pour échapper à l'ancienne tutelle, tenteront de devenir chefs eux-mêmes. Quasiment tous, grâce à leur prime de démobilisation ou à leur pension ainsi qu’à l'aura que cela confère, purent passer outre les conventions sociales ancestrales, s'affranchir de la pression morale des aînés, des anciens, se marier sans tenir compte de la volonté et des intérêts du clan ou du lignage, ou des anciens maîtres pour ceux qui étaient de condition servile (ou tentèrent de le faire). Nombre d'entre eux, notamment les anciens captifs ne souhaitaient pas retourner dans leur village, soit qu'ils ne souhaitaient pas retrouver leur ancien statut, soit qu'ils avaient acquis de nouvelles habitudes de vie qui les poussaient à s'installer dans les villes. Ce fut surtout le cas des militaires de carrière. La morphologie et la toponymie de certaines villes d'Afrique en portent la marque. De nouveaux quartiers surgirent de terre, expression d'une nouvelle sociologie. C'est le cas de Quinzambougou (traduction du bambara : quartier des quinze ans de carrière)dans la périphérie de Bamako au Mali créé au début des années 1920-1930). Ces anciens combattants s'installèrent donc en ville où ils tentèrent d'occuper des emplois correspondant aux spécialités et compétences acquises dans l'armée en plus des emplois subalternes offerts par l'administration coloniale.

Pour ceux qui ont purement intégré leur communauté d'origine, la vie fut souvent émaillée de heurts multiples et incessants avec les Anciens et les coutumes.

 

Père et enfants

 

gif anime puces 028Et en Algérie ?

À leur retour, la situation des anciens combattants fut pratiquement identique à celle de leurs frères d’armes d’Afrique subsaharienne.

Le cas de l'Algérie est magistralement exposé dans la passionnante thèse de G. Meynier (l'Algérie révélée : la Guerre de 1914-1918 et le premier quart du XXe siècle. Thèse de Doctorat d'Etat). Si l’on se réfère aux travaux de G. Meynier, deux phases sont à distinguer relativement au traitement réservé aux Algériens musulmans.

La première phase est celle de la période de feu, c'est-à-dire celle du déroulement de la guerre où les hostilités mobilisent les bras et les esprits. Quant à la seconde, elle correspond à l'après-guerre, à la période où les combattants algériens de retour dans leur foyer font face au quotidien de leur sort. D'entrée de jeu, G. Meynier tente de cerner le profil juste de la société coloniale d'Algérie.

De cet édifice colonial qu'est l'Algérie d'alors, vitrine de la réussite exemplaire de l'œuvre coloniale française, il extrait les « Européens d'Algérie » qui « donnent l'impression de camper dans l'apparente tranquillité des causes et des acquêts indiscutables », avant de s'interroger : « Qu'y a-t-il au de là de la façade des bonnes consciences, des certitudes et des rodomontades ? Un peuple de petits blancs racistes, passéistes et inconscients, qui seraient voués à saboter le généreux projet d'une France appelée par son génie universel à la digestion de tous les peuples ? Ou bien l'expression périphérique d'un pouvoir central que volens, nolens, ils représenteraient sur le terrain ? Enfants monstrueux et dévoyés de la République Française ou première ligne objective du Front impérial ? En face d'eux, séparés d'eux par une barrière rigoureuse qui révèle sur place la domination coloniale globale, la société civile algérienne... Quelques décennies ont passé depuis que s'est close l'ère des grandes insurrections du XIXe siècle. Apparemment les Algériens sont absolument soumis ».

C'est dans ce contexte que survient la guerre et la mobilisation des sujets coloniaux algériens. A la veille de cette Première Guerre mondiale, « l'idéologie coloniale française reste encore fortement imprégnée d'idéal assimilateur ». Pour Meynier, ce terme est ambigu car manque d'uniformité de sens selon qu'il est employé par les « réactionnaires » ou par les « intellectuels libéraux » de la Revue Indigène et du Temps.

Pour le premier courant, « assimiler les indigènes en Algérie revient à faire dépendre l'évolution de leur statut de leur capacité de s'adapter aux mœurs et à la civilisation française... En revanche, pour les intellectuels libéraux, le postulat est inversé : l'adaptation des Algériens aux normes françaises se fait d'autant mieux que la France leur donne des gages de sa bonne volonté assimilatrice ; il convient donc par exemple de hâter leur entrée dans la cité française, au moins par une élite qui aurait déjà bien fait la preuve de ses structures mentales françaises. Les deux composantes —conservatrice et libérale— se rencontrant donc dans ce jacobinisme colonial français ».

La guerre favorise-t-elle cette assimilation apparemment souhaitée par les deux pôles majeurs de la France coloniale d'alors, c'est-à-dire à l'unanimité ? Pendant et après la guerre, plusieurs postes d'observation privilégiés s'offrent à nous. Tout d'abord, le niveau d'observation qui porte sur les rapports entre officiers français et soldats algériens. A ce niveau, deux témoignages s'affrontent : celui des propagandistes officiels et officieux de l'assimilation qui affirment que « Toutes ces troupes ont combattu héroïquement ». A ce témoignage s'oppose celui plus direct, le vécu d'Algériens ayant connu le front comme le lieutenant Boukabouya, auteur de L'Islam dans l'armée française où il affirme que les Maghrébins enrégimentés ne combattent que contraints et forcés. Maltraités et méprisés par les officiers français assure-t-il, ils sont en état de rébellion latente et en permanence candidats comme lui à la désertion.

Un autre poste d'observation se situe au niveau de l'accueil réservé aux Algériens combattants par la population civile métropolitaine, principalement l'accueil des blessés au front admis dans les différentes unités de soin réparties sur le territoire. A cet égard, « Toutes les interviews d'anciens tirailleurs ont confirmé la chaleur de l'accueil qui a dû susciter de réelles reconnaissances, d'autant plus qu'il tranchait sur le contexte répressif colonial d'Algérie... Au début de la guerre, de nombreux tirailleurs blessés et convalescents sont hébergés dans des familles françaises. Beaucoup en ont gardé un souvenir ému ». Certains de ces souvenirs d'Algériens rapportés par Meynier tranchent par l'émotion qu'ils suscitent mais surtout par leur spontanéité, leur poignante sincérité et leur densité humaine.

Au total, l’ancien tirailleur indigène, quel que soit son degré de possession ou de maîtrise de la langue, peut être légitimement considéré comme un vecteur potentiel de culture française dans son milieu, en Algérie comme en Afrique subsaharienne.

 

Demba & Dupont

 

gif anime puces 028L’Armée, instrument d’assimilation ?

On peut se demander à présent quel rôle a joué l'armée dans l'assimilation des sujets coloniaux, c'est-à-dire dans l'acculturation, mieux, dans l’octroi du statut de citoyens égaux en droits et en devoirs. On peut même aller plus loin et se demander si l'armée n'a pas, dans certains cas, exacerbé les différences, creusé les distances, et s'il ne faut pas rechercher ainsi derrière les barrières coloniales le cheminement des nationalismes.

La réponse est ambivalente. S'il est vrai que l'armée a été porteuse d'une espérance d'assimilation, la réalité en ce domaine n'est pas à la hauteur de cette espérance car, une telle réalisation ne pouvait que passer par la promotion sociale et politique sinon de la masse des Africains combattants, du moins des cadres africains engagés dans l'armée française. Ici, le vœu exprimé par le général Mangin qui souhaitait qu'il y ait des officiers africains s'est heurté à une partie de l'état-major, en particulier aux cadres de l'armée d'Algérie. Cependant, le même général prenait soin de dissocier engagement dans l’armée et obtention de la citoyenneté. En dépit des promesses d'avant-guerre, les bénéficiaires de ces promotions congrues furent des fils de chefs traditionnels (extrêmement rares dans l'armée) qui devenaient des « officiers à titre provisoire » ou à « titre indigène.» Mais beaucoup de médailles furent distribuées, et un certain nombre de combattants furent élevés au grade de sergent.

 

soldats

 

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