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28 août 2016 7 28 /08 /août /2016 07:06

 

RENÉ HUYGHE : LES POUVOIRS DE L’IMAGE.

UN DANGER POUR LA PENSÉE ?

L’image et l’invasion du quotidien.

Comment préserver notre libre arbitre ?

RENÉ HUYGHE : LES POUVOIRS DE L’IMAGE.  UN DANGER POUR LA PENSÉE ?

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René Huyghe (1906-1997)

Historien, philosophe et esthéticien de l’art français.

Conservateur au Louvre, puis professeur de psychologie de l’art  au Collège de France.

 

Le livre et l’image : les signes du Temps. D’Hier à Demain.

Les 19e et 20e siècles sont caractéristiques du glissement du texte à l’image, ou de la prise du pouvoir de cette dernière sur le texte.

Passation de témoin ou règne partagé ?

L’invasion des images, plus précisément le trop-plein d’images non analysées ne comporte-t-il pas le risque de stériliser l’imagination et la pensée ?

                                                                                 

« Si le texte nous enjoignait de rentrer en nous-mêmes pour le transformer en pensée, les sensations nous en extraient, irrésistiblement et constamment. Elles nous happent, elles exigent docilité et vacuité. Elles ne sont plus à notre disposition, prises ou rejetées à notre gré, comme le feuillet. Elles sont un rythme imposé, précipité, qui nous absorbe et nous emporte. »

« L’écran de cinéma ou de télévision ajoute encore à cette rapacité exclusive : l’obscurité, autour de lui, en fait l’unique et obligatoire pôle de notre attention et la vue, fascinée, ne peut plus ni s’en distraire, ni s’en retraire. Le spectateur n’a plus licence, ainsi que le lecteur, d’emporter son butin pour le transformer en méditation ou en rêverie. Il est devenu la proie.

Tout, de nos jours, s’absorbe par des sensations : or, la sensation, à la différence de la pensée, ne dialogue pas avec son objet ; elle s’identifie à lui ; elle enregistre et elle subit. Ce n’est pas seulement le moyen d’acquérir qui change, mais la façon.

La vie intellectuelle accoutumée, se trouve menacée, du moins, pour ceux qui ne savent pas se prémunir, irrésistiblement, nous sommes entraînés de la civilisation du livre à celle de l’image. Le centre de gravité s’est suffisamment déplacé, en un glissement qui se précipite, nous sommes déjà assez « autres » pour en prendre conscience. […]

Certes, il est toujours difficile de déceler ce qui en vous s’éteint, et ce qui y surgit, alors que la vie vous entraîne. »

  De la puissance de l’image

                à la

      Dictature de l’image  et du son

 

« L'homme de tous les temps s'est intéressé à l'art. S'il n'est pas d'exception à cette règle, il est juste d'ajouter qu'aucune époque ne lui a porté une passion comparable à la nôtre ; la peinture, en particulier, celle du passé comme celle du présent, est devenue pour nos contemporains une sorte d'obsession.

C'est que, en dépit de la place prise par les intellectuels au premier plan de la scène contemporaine, nous ne sommes plus des hommes de pensée, des hommes dont la vie intérieure se nourrisse dans les textes. Les chocs sensoriels nous mènent et nous dominent ; la vie moderne nous assaille par les sens, par les yeux, par les oreilles. L'automobiliste va trop vite pour lire des pancartes ; il obéit à des feux rouges, verts. Le piéton, bousculé, hâtif, ne peut que saisir au passage l'aspect d'un étalage, l'injonction d'une affiche. L'oisif, qui, assis dans son fauteuil, croit se détendre, tourne le bouton qui fera éclater dans le silence de son intérieur la véhémence sonore de sa radio ou dans la pénombre les trépidants phantasmes de la télévision, à moins qu'il ne soit allé chercher dans une salle obscure les spasmes visuels et sonores du cinéma. Un prurit auditif et optique obsède, submerge nos contemporains. Il a entraîné le triomphe des images. Elles font le siège de l'homme, dont elles ont mission, dans la publicité, de frapper, puis de diriger l'attention. Ailleurs, elles supplantent la lecture dans le rôle qui lui était dévolu pour nourrir la vie morale. Mais au lieu de se présenter à la pensée comme une offre de réflexion, elles visent à la violenter, à s'y imprimer par une projection irrésistible, sans laisser à aucun contrôle rationnel le temps d'édifier un barrage ou de tendre seulement un filtre. Lucien Febvre [historien français contemporain] avait donné aux Temps modernes, issus de la Renaissance, le nom de "civilisation du livre". Cette appellation est dépassée et il semble nécessaire de la remplacer, à partir du XXe siècle, par celle, que j'ai proposée, de "civilisation de l'image". [...]

Cette prolifération de l'image, envisagée comme un instrument d'information, précipite la tendance de l'homme moderne à la passivité ; on peut dire que cet assaut continuel du regard vise à créer une inertie du spectateur. Hors d'état de réfléchir et de contrôler, il enregistre et subit une sorte d'hypnotisme.

[...] La publicité, la télévision ou le cinéma se plient à ces principes et les appliquent à l'emploi qu'ils font de l'image, quand ils entendent se servir d'elle pour imprimer aux esprits une orientation déterminée. La publicité, en particulier, qui vise sans ambage à une dictature mentale, tire toute son efficacité de leur stricte observance. »

René Huyghe, Les Puissances de l’image.

Cela étant, face à cette nouvelle culture, et à l’irrésistible ascension de l’image, une des solutions possibles ne serait-elle pas l’apprentissage de l’image, de sa lecture, de son analyse, de sa finalité, bref, sa critique ? Ce qui aurait pour avantage de développer l’esprit critique, en renforçant la rigueur intellectuelle, afin de dominer l’image sans être dominé par l’image, grâce à la médiation de l’éducation.Comme par exemple,suggérer aux fabricants de cartbles scolaires de réserver, au milieu des images et des couleurs vives chatoyantes,cette simple inscription : "pourquoi je vais à l'école?", pour faire que cohabtient ainsi, dans l'esprit de l'enfant, image et pensée.

Par ailleurs, dans l’Histoire, toute nouveauté à chaque époque, a suscité méfiance, rejet, réactions négatives, tentative de résistance ou de retour en arrière, et chaque fois, le rouleau compresseur de la nouveauté a écrasé ces résistances : ainsi le train, l’automobile, l’avion, la découverte des microbes en médecine, le téléphone,l'électricité, les premières machines dans les usines… ont eu leurs détracteurs aujourd’hui oubliés.

Socrate lui-même, en son temps, s’en est pris violemment au texte, au livre, sous prétexte qu’on ignorait l’auteur, ses intentions véritables, de même qu’on ignorait qui lirait le livre et ce qu’il en ferait.

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